[Critique commune à Faërie Hackers et Obsidio.]
Mon Vénéré Boss veut une double critique de Johan Heliot. C'est tombé dans ma boîte à mail l'autre jour. Comme ça, paf ! ! Bon, j'ai traîné les pieds et beaucoup soupiré, mais c'est la coutume : « Your wish is my command », dont acte.
J'ai traîné les pieds parce que du sire Heliot, jusqu'à présent, tout ce que l'on a lu de bien, c'est son premier roman, La Lune seule le sait. La sagesse voulait donc qu'on s'abstienne désormais de lire du Heliot tant qu'il s'acharnerait à écrire du steampunk.
Changement de cap, puisque les deux livres dont il est question ici n'ont rien à voir avec le steampunk. Et c'est un soulagement. Bien sûr, cela ne constitue pas un gage de qualité.
Gardons le meilleur pour la fin et commençons par Obsidio. Nous voici donc avec entre les mains un recueil de trois novellas d'assez bonne tenue. La première, « Les maux blancs », se ramène à la quête du père : un tueur à gage élève seul son fils. L'année de ses treize ans, un contrat tourne mal. Le père s'échappe, mais le gosse se fait arrêter. Du centre de détention pour mineur à la prison, l'enfant, devenu adulte, n'aura de cesse à sa sortie de retrouver son père, pour pouvoir enfin s'en libérer. « Retour aux sources », quant à elle, commence dans le monde de la cybernétique et de la vente de logiciels, pour finir par plonger au cœur de l'humanité dans ce qu'elle a de plus sauvage et de plus primitif, avant même qu'elle ne se sépare du reste du monde vivant pour former sa propre branche et entamer sa longue ascension à partir de l'homme de Cro-Magnon. Enfin « Obsidio », la nouvelle éponyme du livre, prend appui sur les habitants paumés d'une cité de banlieue à moitié morte pour raconter une guerre de toute éternité où s'affrontent des êtres fantastiques qui n'ont rien à voir avec le genre humain.
Trois histoires, trois milieux totalement différents, avec cependant un fil rouge : la révolte, la tentative désespérée de maîtriser une vie qui s'emballe et vous échappe soudainement, pour finir par l'acceptation/soumission qui permet une renaissance. L'aspect fantastique de ces trois récits épouse une courbe ascendante : très discret dans la première novella, il incarne l'un des personnages principaux dans la dernière. Des trois, la première est sans doute la meilleure. Ecrite à la première personne, elle balance entre l'humour des Tontons Flingueurs et la froideur d'un John Woo période asiatique.
Si Obsidio souffre de quelques longueurs, le point le plus négatif de ce recueil réside dans le message personnel que tente de faire passer l'auteur. Car Johan Heliot est un rebelle. Et il le fait savoir. Tout y passe : le RMI, les banlieues dortoirs, la bourgeoisie, les flics, la télé… Tout est bon pour brandir son petit poing serré de rage. Une véritable galerie de clichés, des images d'Epinal pré-formatées et recrachées à l'emporte-pièce, de façon tellement naïve et maladroite que ce n'en est même pas touchant. Des phrases toutes faites, un discours mille fois rebattu, et on obtient une bouillie mal digérée qui colle vaguement la nausée. Heliot ne possède ni le recul, ni la réflexion, ni la touche d'humour ou encore la véritable hargne qui transforment les mots en missiles qui vont droit au cœur de la cible. Un discours démago pour de vrais maux. Sur une nouvelle, c'est mignon, c'est touchant. Sur 460 pages, ça devient fatiguant.
Virage à 180 degrés et salto arrière rattrapé avec les dents pour Faërie Hackers. Ah ! Voilà une merveille ! Deux mondes : le monde d'en bas, Faërie, où vivent tous les êtres magiques que l'imagination puisse concevoir, et sur lequel règne le Roi Couleur. Le monde d'en haut, la Surface, où vous et moi vivons bêtement sans rien savoir. De la paix en Surface dépend la paix du monde d'en bas. Et, certes, depuis que les habitants de Faërie ont réussi à emprisonner tous les démons dans le Rebut, la paix règne. Mais la grande tragédie de la Seconde Guerre mondiale a compromis cet équilibre. La Shoah a permis à l'un des démons les plus terribles de se libérer. Il remonte en Surface et, utilisant les techniques cyber-technologiques les plus modernes, concocte un plan terrifiant pour se venger et reconquérir Faërie. Très vite, il enlève le fils du Roi et disparaît. Le Roi Couleur se voit contraint de demander l'aide de Lillshellyann, une fée renégate exilée en Surface pour avoir eu des prétentions politiques. Accompagnée par Lartagne, champion du Roi et protecteur du Dauphin, Lil va arpenter le tout Paris à la recherche du Démon et de l'enfant. Son enquête va la mener aux portes d'une société de création de jeux vidéo : Devil's Game. Et la partie ne fait que commencer…
Alliance harmonieuse de la technologie du monde moderne et d'une fantasy imaginative de qualité, ce roman est une source de plaisir et une belle surprise hexagonale. Un style rythmé et nerveux, sans temps mort, des personnages solides aux caractères bien trempés, des décors contrastés et hauts en couleurs, une histoire dont la simplicité n'enlève rien au charme et à l'intérêt, voici un roman fort bien réussi qui flirte avec la littérature jeunesse, se lit d'une seule traite et dont on sort le sourire aux lèvres.
Que ce soit dans Obsidio ou dans Faërie Hackers, Johan Heliot fait montre d'une inventivité exceptionnelle ; ses personnages à caractère fantastique sont impressionnants. De ce point de vue, la novella « Obsidio » est forte et puissante. Reste que les terres arides de l'interrogation existentielle et de l'étude des mœurs humaines ne sont pas pour lui. Mais dès lors qu'il parcourt les territoires de la Faërie, Heliot se révèle un guide sûr et merveilleux à qui il manque peu de chose pour devenir un écrivain magique.
À surveiller de près.