Les pieuvres sont à la mode. Après l’excellent La Montagne dans la mer de Ray Nayler (Le Bélial’, 2024), Xavier Müller nous propose ici Octopus, sur quasiment le même thème. Les pieuvres en ont ras-le-bol des êtres humains, et il va falloir apprendre fissa à communiquer avec ces créatures dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elles sont quelque peu différentes de nous. Mais Müller n’a pas la finesse de Nayler : il y va avec les gros sabots et exige de son lecteur une suspension d’incrédulité considérable, d’autant qu’Octopus n’est pas une histoire du futur proche, mais d’un quasi-présent.
À l’instar de la majorité des romans — et plus encore des films — catastrophes, surtout récents, Octopus ne tient pas debout. Dès qu’il est question de désastres globaux où les héros doivent sauver le monde, la crédibilité se réduit vite à une peau de chagrin. Aussi nous voici soudain nantis de jolis Cthulhu sans ailes de chauve-souris, tandis que l’Atlantique est infestée de pieuvres géantes de vingt mètres qui nous rejouent la scène vernienne la plus spectaculaire de l’attaque du Nautilus dans Vingt mille lieues sous les mers. Elles capturent l’USS Pearl (vraisemblablement un SNA fictif, soit un bâtiment dix fois plus long qu’elles à propulsion nucléaire, un passage qui n’est pas sans rappeler la capture du Triton dans le roman de Lester Del Rey L’Atlantide attaque, ce qui ne nous rajeunit pas). N’importe quoi, en somme, mais c’est spectaculaire. Et croyez bien que question n’importe quoi, ce n’est que le début. Hyper intelligents (la faute à un perturbateur endocrinien issu du plastique !), dotés d’invisibilité, nos céphalopodes sont aussi passés de prédateurs individuels au statut d’animaux sociaux préoccupés de leur progéniture innombrable, progéniture qui va désormais massivement survivre au lieu de mourir — une idée que Xavier Müller laisse d’ailleurs en jachère, même s’il y avait là aussi matière à catastrophe. Les pieuvres tuent des gens, anéantissent Amsterdam, menacent Istanbul et finissent en petits chiots qui ne veulent que jouer… Ajoutez un chercheur sans scrupule et avide de fric, et vous avez la formule complète. Enfin, si on n’oublie pas en sus le déluge lié au changement climatique qui s’abat sur le monde, un bonheur ne venant jamais seul.
Octopus a l’odeur de la fabrique. C’est à la littérature ce que le Mouton-Cadet est au vin. Un produit bien calibré, dans l’air du temps, qui marche bien, plaira à beaucoup et remplit son contrat de lecture. Ceux qui en auront fait le choix devraient en être satisfait : ça se lit tout seul. Que le roman ne soit pas bien ficelé, qu’il manque des tas d’explications, de liens, de cohérence, peu importe ; ça ne gêne en rien. Un roman écolo parmi des tombereaux d’autres tenus de faire frémir. Xavier Müller a le mérite d’être d’une limpidité toute cristalline quant à la pensée écologiste en concluant, page 396 « Il n’y avait pas de coupable, sauf notre civilisation. » Reviens, Ray Nayler !