Arthur C. CLARKE, Stephen BAXTER
BRAGELONNE
1128pp - 28,00 €
Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74
Décidément, les éditions Bragelonne aiment Arthur C. Clarke. Après avoir inscrit une partie de sa production romanesque au catalogue Milady, elles publient aujourd’hui Odyssées, un pavé de plus de mille pages réunissant l’intégralité de ses nouvelles, soit une centaine de textes parus sur une période de soixante ans.
Le premier intérêt d’un tel travail éditorial est de mettre en lumière l’évolution de l’auteur au fil du temps ainsi que les grandes tendances de son œuvre. La passion initiale de Clarke aura été la conquête de l’espace, qu’il n’a jamais cessé de mettre en scène, de la manière la plus variée et la plus réaliste possible. De la vie à bord d’une station spatiale à l’exploration des autres planètes du système solaire et au-delà, l’auteur s’est évertué à convaincre ses contemporains de la faisabilité d’un tel challenge, mais aussi de sa nécessité. Car au-delà des aspects techniques de cette conquête, elle pose la question de la place de l’homme dans l’univers. Et ce sont justement les questionnements métaphysiques de Clarke qui donnent naissance à ses meilleures nouvelles, parmi lesquelles « La Sentinelle », texte dont l’idée centrale sera reprise dans 2001, Odyssée de l’espace, ou « L’Eternel Retour », dont le récit se déroule sur des dizaines de millions d’années.
Dans le même ordre d’idées, la rencontre avec l’Autre occupe une place prépondérante dans l’œuvre d’Arthur C. Clarke, et il est rare qu’elle dégénère en conflit. Au contraire, l’écrivain n’a de cesse de mettre en scène la collaboration entre des espèces que tout oppose à priori, comme dans « Une Aube nouvelle » ou « Rencontre à l’Aube », pour ne citer que les plus connus. À l’inverse de toute une école de science-fiction dans les années 50, l’extraterrestre chez Clarke est bien plus volontiers une source de fascination, voire de beauté, que d’effroi.
Odyssées permet également de revenir aux sources de l’œuvre romanesque de l’auteur. Certaines nouvelles ont par la suite été directement incorporées au sein de romans, d’autres contiennent en germe les idées qu’il développera plus tard. Ainsi, bien avant de visiter Rama, ses personnages se retrouvaient face à des artefacts dont la conception défie l’entendement, qu’il s’agisse d’un gigantesque mur coupant un monde en deux (« Le Mur des ténèbres », 1949) ou d’une lune qui s’avère être un vaisseau spatial (« Jupiter Cinq », 1953).
Ceci dit, toutes les nouvelles au sommaire d’Odyssées ne sont pas bonnes. Un bon nombre d’entre elles ne sont au mieux qu’anecdotiques, notamment toutes celles prenant pour cadre le White Hart, ce pub où se réunissent écrivains et scientifiques pour se raconter d’improbables histoires d’inventions plus farfelues les unes que les autres. De même, parmi les textes qui étaient restés inédits jusqu’à ce jour, on cherchera en vain un chef-d’œuvre oublié. Le plus intéressant est sans doute « Le Continuum du fil », qui date de 1998 et qui reprend en la modernisant une idée que Clarke développait dans sa toute première nouvelle, parue soixante ans plus tôt, mais le crédit de ce récit revient avant tout à Stephen Baxter, qui le co-signe.
Au final, à la lecture de ces mille et quelques pages, il ressort et se confirme qu’Arthur C. Clarke ne figurait sans doute pas parmi les meilleurs nouvellistes du domaine, mais qu’il était et demeure encore aujourd’hui l’une des figures majeures de la science-fiction.