Dix ans après le début de sa publication dans la défunte collection « Millénaires » des éditions J’ai Lu, « Lunes d’encre » réédite l’intégrale de la série « Omale », une œuvre d’une ampleur et d’une ambition peu communes dans la science-fiction française. En créant cet univers, Laurent Genefort s’offrait un terrain de jeu d’une taille sidérante, une sphère de Dyson entourant un soleil, dont la superficie représente plusieurs millions de fois celle de notre planète, et dont l’ensemble des textes réunis dans ces 1700 pages n’explore qu’une infime partie.
Omale (le roman) et ses suites se déroulent dans une zone où tentent de cohabiter trois espèces intelligentes, les Humains, les Chiles et les Hodgqins, et les différents récits au sommaire s’étendent sur plusieurs siècles. On ignore tout de l’origine de ce monde comme des raisons de la présence de ces êtres à sa surface, autant de sources d’intenses débats et conflits entre scientifiques et religieux.
Le premier roman de la série s’intéresse moins au cadre de son action qu’à ses habitants. Laurent Genefort dépeint à grands traits la nature d’Omale, mais focalise avant tout son attention sur les relations souvent tendues entre Humains, Chiles et Hodgqins, en mettant en scène une demi-douzaine d’individus de toutes origines, contraints de collaborer pour parvenir à un but commun. La notion d’altérité est au cœur de ce récit, et pas seulement à travers les relations inter-espèces que le récit illustre. Les différents protagonistes sont pour la plupart des marginaux, voire des parias au sein de leur propre communauté : Alessander est un humain qui a grandi parmi les Chiles, Sikandaïrl est une rochile, une Chile dont le jumeau est mort avant terme, ce qui fait d’elle un individu craint par ses congénères, et Amees’Sixte-deVorsal est un Shadlee, un Hodgqin qui a atteint l’immortalité grâce à des moyens interdits. Le passé de chacun de ces personnages permet à Laurent Genefort de décrire de manière plus précise la société qui les a vus naître.
Si Omale passionne souvent par la diversité qu’il met en scène, ce premier roman n’est pourtant pas exempt de tout reproche. En particulier, son intrigue s’avère artificielle et maladroite. La quête que se sont vu confier ses protagonistes repose sur une série de hasards et de coups de chance tellement improbables qu’elle en perd toute vraisemblance. Et plus sa résolution approche, plus le roman souffre de cette faiblesse, jusqu’à en gâcher les ultimes révélations du récit. Néanmoins, au terme de cette histoire, les fondations de cet univers sont posées, fondations que le romancier va s’empresser d’exploiter davantage dans Les Conquérants d’Omale.
Ce second roman se déroule sept siècles plus tôt, alors qu’une guerre interminable oppose les Humains aux Chiles. Paradoxalement, les habitants d’Omale bénéficient alors de technologies plus avancées que dans le précédent récit. L’explication se trouve dans l’une des trois intrigues qui composent ce récit, évènement crucial de l’histoire de ce monde, brièvement évoqué dans Omale, mais que Laurent Genefort met cette fois en scène de manière plus détaillée. Dans le même temps, on suit une petite expédition scientifique, partie enquêter sur un phénomène de plus en plus inquiétant, qui menace de plonger le monde dans une ère glaciaire. Mais l’essentiel du récit est consacré à une opération militaire rocambolesque et suit les pérégrinations d’une poignée de soldats chargée de s’emparer d’une locomotive atomique afin de porter un coup décisif contre l’armée chile. Cette dernière histoire, avec son lot de péripéties, donne au roman un agréable parfum de série B à l’ancienne, tout en permettant à l’auteur d’élargir le périmètre de son exploration d’Omale.
Il faut toutefois attendre La Muraille sainte d’Omale pour découvrir Laurent Genefort au sommet de son art. Il y suit une expédition scientifique en route vers le Landor, cette zone qui vit débarquer les premiers Humains sur Omale, aujourd’hui entourée d’une muraille de 80 000 kilomètres de long. Un retour aux premiers pas de l’humanité sur Omale, sur lequel plane un parfum d’apocalypse, alors que les rumeurs de fin du monde se font de plus en plus persistantes.
C’est véritablement dans ce roman qu’on retrouve le Laurent Genefort féru de science, qui met en scène une jolie brochette d’explorateurs, lesquels lui permettent de s’intéresser plus précisément à la nature d’Omale et de résoudre quelques-unes de ses énigmes. Le voyage est passionnant de bout en bout, les révélations finales à la hauteur des enjeux.
Les Omaliens réunit de manière chronologique les différentes nouvelles de l’auteur qui se rattachent à ce cycle, et même si l’on sait que ce n’est pas son format de prédilection, le résultat est le plus souvent très bon. « Aparanta » raconte l’arrivée des Humains sur Omale. Entre scènes à grand spectacle de carambolage spatial et tentative de réorganisation des survivants, Laurent Genefort traite intelligemment ce premier contact à la fois avec un environnement totalement étranger et avec une forme de vie radicalement différente. Entre craintes et espoirs, ce premier texte ne tranche pas. Trois siècles plus tard, hélas, les jeux semblent déjà faits, les tensions entre Humains et Chiles ne cessent de croitre, tandis que la science recule face à l’obscurantisme religieux. « Un Roseau contre le vent » met en scène cette opposition entre connaissance et croyance, omniprésente dans tout le cycle. Situé à la même époque, « La Septième Merveille d’Omale » décrit les négociations entre Humains et Chiles autour de la construction d’un barrage. Là encore, les tensions sont palpables, le pire n’est jamais loin, et les compromis fragiles.
Les nouvelles suivantes prennent la forme d’enquêtes policières. « L’Affaire du Rochile » oblige un vétéran humain à reprendre du service pour découvrir qui est à l’origine des dizaines de morts brutales qui menacent de relancer la guerre entre Humains et Chiles ; « Arbitrage » contraint un juge itinérant à superviser une partie de fejij (ce jeu chile, mélange d’échecs, de go et de wargame, qui occupe une place prépondérante dans le premier roman) commencée soixante ans plus tôt, et dont l’enjeu n’est rien de moins que la vie de plusieurs dizaines de milliers d’humains. Enfin, « Patchwork » amène un médecin-légiste hodgqin à s’interroger sur les opérations qu’ont subies certains de ses patients avant d’être conduits dans sa morgue. Outre ses qualités littéraires, chacun de ces textes augmente à sa manière notre connaissance d’Omale, vient éclairer un pan de son histoire, des mœurs de sa population. Et même ceux qui, considérés isolément, souffrent de défauts formels indéniables (Omale en particulier), gagnent beaucoup à être confrontés aux autres œuvres du cycle et s’enrichissent à leur contact. Plus que jamais, le cycle d’ « Omale » apparait comme l’une des œuvres majeures de la science-fiction française. Laurent Genefort a encore progressé en tant que romancier ces dernières années, on aimerait le voir s’y frotter à nouveau1.
Note :
1. Chose qu’il fait en ce moment même, à en croire les milieux autorisés… [NdRC]