Robert ZUBRIN
PRESSES DE LA CITÉ
380pp - 20,00 €
Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45
En 2015, une expédition américaine s'apprête à se poser sur Mars pour la première fois. À son bord, cinq astronautes : un pilote d'élite, une mécanicienne de génie, un géologue, une brillante biologiste et un historien. Après un atterrissage mouvementé dû à une défaillance technique, l'exploration commence, et avec elle un vif débat entre ceux qui désirent rechercher des traces fossiles de chimie prébiotique et les adeptes de la géologie convaincus que la vie n'a jamais existé sur la planète rouge. La découverte d'une vie primitive met non seulement fin à la discussion, mais panique l'opinion publique. Les extrémistes brandissent la menace d'une contamination et de la fin de l'humanité si les astronautes reviennent sur Terre, et font pression sur le gouvernement à quelques mois des élections… L'équipage est abandonné, livré à lui-même, et il va désormais lui falloir survire…
Ingénieur à la NASA, auteur d'ouvrages de vulgarisation, militant pour la Mars Society, Robert Zubrin aborde la conquête de Mars sous l'angle du réalisme, comme en témoignent l'annexe technique (fort intéressante) et la préface de Gregory Benford. On songe à Stephen Baxter pour la description d'une mission spatiale par un spécialiste du domaine, à Kim Stanley Robinson pour l'exploration de Mars, et aussi à Arthur Clarke pour le récit de sauvetage dans l'espace. Mais le résultat n'est pas à la hauteur de la profession de foi de l'auteur, l'action et l'intrigue primant très largement sur la dimension hard science. Rien de déshonorant s'il n'y avait quelques détails qui dénotent un manque de rigueur : des incohérences dans le calendrier (p. 74) ; le module de survie désigné comme le « seul objet artificiel » sur la surface de Mars (dommage pour les nombreuses sondes déjà présentes et à venir d'ici 2015)… Surtout, il est totalement invraisemblable que, une fois sur place, l'équipage se pose la question de savoir qui va marcher le premier dans la poussière rouge, et si l'objet de la mission est la géologie martienne ou la recherche de vie fossile. Si l'on ajoute les imprudences commises par les membres d'équipage, on a en permanence l'impression d'avoir affaire à des amateurs.
OK, tant pis pour la rigueur… Mais quid du récit ? Las, Zubrin est peut-être un ingénieur brillant, mais c'est un piètre romancier. La psychologie des personnages relève de la littérature de gare : les protagonistes sont des poncifs sur pattes (le pilote chevronné est une tête brûlée, l'ingénieur mécanicien un garçon manqué, le Président est obsédé par sa réélection…) qui se réduisent à un ou deux traits de caractère. D'une manière générale, le style est plat (ainsi la description d'une émeute, expédiée en quelques paragraphes sans reliefs, à la manière d'un synopsis). Les phrases sont encombrées d'adverbes (« La biologiste surgit gracieusement du labo, […] puis retourna vivement à son travail »), d'adjectifs creux (Zubrin aime les « ravissantes jeunes femmes » aux « cheveux magnifiques » qui tapent sur leur clavier « à une vitesse fantastique » — sic). En ce qui me concerne, j'ai un faible pour le champagne qui « pétillait vigoureusement » (re-sic). Je n'ai pas consulté la version originale ; il est possible qu'une part de responsabilité incombe au traducteur, lequel a tout de même cru bon d'expliquer des termes tels que « Mach 30 », « 3 g », « MI-5 », « Gaïa », « holophotographie », voire des néologismes pourtant évidents comme « écogoth » (« écologiste tendance gothique, sans doute » — re-re-sic).
Si on commence à douter de l'intérêt du roman après une centaine de pages, On a marché sur Mars se barre complètement en sucette dans sa dernière partie, proposant simultanément ou presque une romance digne des éditions Harlequin, un happy-end dégoulinant (revenus sur Terre, trois des astronautes deviendront respectivement Président des USA, millionnaire et prix Nobel), ainsi qu'un hymne au drapeau américain et à l'esprit pionnier ayant donné naissance à la plus grande nation de la Terre (entre parenthèses, le récit USA-centriste n'aborde aucunement les réactions du reste du monde). Le fin du fin : l'équipage amerrit à… New York ! Au pied de la Statue de la Liberté ! !
Bref, on peut sans problème se passer de ce roman mal foutu à tous points de vue, à peu près du niveau des meilleurs bouquins de Robert J. Sawyer.