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Les critiques de Bifrost

Organes invisibles

Organes invisibles

Zaki BEYDOUN
ACTES SUD
128pp - 14,50 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Organes invisibles est une anthologie qui regroupe un ensemble de vingt-deux très courts récits et textes issus de trois recueils. Une brève préface de J-M. G. le Clézio introduit l’ensemble.

Quel étrange livre que celui-ci… « Extension », la nouvelle qui ouvre le bal, ressemble ainsi à une méditation lysergique teintée de surréalisme dalinien, lorsqu’un homme grandit inexplicablement jusqu’à être plus immense encore que l’espace infini, inversant sa perception des proportionnalités, et aboutissant à la contemplation extatique d’un univers orgasmique. On comprend rapidement pourquoi Salvador Dali est cité en préface alors que Borges et Kafka le sont en 4e de couverture ! La parenté fantastique invoquée en sous-titre est cependant toute relative, et il semble que le style général de l’auteur s’apparente bien davantage au courant surréaliste. Si Magritte avait peint un livre en lieu et place de sa pipe, c’eût été celui de Zaki Beydoun : ceci n’est pas un livre !

Avec la nouvelle-titre, le narrateur perçoit ses sensations comme des extensions de lui-même, et le corps semble n’être qu’une entrave à l’immensité de son moi psychanalytique freudien. « Les pensées ne sont en réalité que des pénis amputés », peut-on y lire… dont acte. La lecture de « L’Éveil », fin de relation de couple vécue comme une anti-hallucination où l’autre disparaît — au sens propre — du champ de vision, ou bien de « Paranoïa », mise en scène du moi confronté au jugement supposé de l’autre, confirme par ailleurs cette impression de délire psychédélique mortifère dont l’ego de l’auteur est le véritable inspirateur.

Les textes issus les plus anciens sont parfois étonnamment courts, de l’ordre du paragraphe, et paraissent souvent n’avoir aucun sens à moins d’être versé dans l’onicocritie, science de l’interprétation des rêves. Car c’est bien de cela qu’il semble être ici question, de la transcription littéraire de cauchemars insensés, et il y a certes quelque chose de fascinant à découvrir l’univers onirique auto-psychanalytique d’un conteur dont la plume s’avère libérée de toute contrainte conventionnelle, et parfois porteuse d’un je-ne-sais-quoi d’irrévérencieux : ainsi en est-il de « Ma nouvelle bouche », récit dans lequel le narrateur n’en a plus et se voit contraint de hurler sa rage par l’entremise de son auguste derrière… à l’haleine suffocante !

On l’aura compris Organes invisibles n’est pas à proprement parler un ouvrage de science-fiction, ni même de littérature fantastique ; c’est une introspection métaphysique surréaliste mise en prose, qui trouverait sans peine sa place dans un cabinet de curiosités littéraires. Sans être exceptionnelle et malgré un tarif élevé eu égard au format, cette « Exofiction » iconoclaste est peut-être cependant suffisamment étrange pour mériter que l’on s’y attarde, constituant un étonnant échantillon d’un genre littéraire que l’on qualifierait volontiers de délirium-fiction.

Julien AMIC

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