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Les critiques de Bifrost

Ormeshadow

Priya SHARMA
LE BÉLIAL'
176pp - 10,90 €

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

L’un des textes les plus longs de la collection « Une heure-lumière » est paradoxalement l’un de ceux qui laissent le moins place à l’Imaginaire. Ormeshadow nous emmène en Angleterre, sous le règne de Victoria, et nous parle de dragon… N’y cherchez pas pour autant un récit steampunk, fantastique ou de la fantasy épique, comme nombre de récits d’Imaginaire se situant à cette époque. Ce court roman naturaliste qui tient plus de Charles Dickens ou de Jane Austen que des œuvres de J.R.R. Tolkien (malgré une certaine parenté pastorale) ou de Bram Stoker. Au début de l’histoire, le jeune Gideon Belman doit quitter la ville de Bath avec ses parents, ruinés, pour rejoindre la ferme familiale. Là, il découvrira son oncle tyran domestique – jaloux de son jeune frère et sa famille. Là, il découvrira peu à peu la cruauté d’une existence rustique et du déclassement, et surtout la façon dont les relations empoisonnées entre les adultes peuvent « désaxer les enfants » à coup d’indifférence et de mauvais traitement. Ses seuls instants de joie seront les balades sur la colline de l’Orme avec son père, les légendes que celui-ci lui raconte sur l’origine draconique du promontoire et les trésors qu’il recèle. Las, le père disparaît et la situation de Gideon s’aggrave, jusqu’au dénouement féérique final.

Dans Ormeshadow, Priya Sharma ne s’inspire pas du réalisme magique comme a pu le faire Gabriel Garcia Marquez ou Isabel Allende. Après avoir posé des bribes, présentées comme des contes pour enfants, elle fait appel à une petite touche d’imaginaire à la toute fin de son récit. Peut-être pour offrir un peu de rêve à son lecteur ? Ormeshadow fait en effet partie de ces romans où, à l’aide de peu de mots, l’autrice dépeint la maltraitance des femmes et des enfants, mais également le carcan social d’une époque. Elle dépeint la façon dont la jalousie, l’absolutisme patriarcal et la naïveté vont de génération en génération détruire peu à peu les corps et les âmes d’une famille entière. Son écriture simple, mais précieuse, à l’image de Gideon et son père John Belman, ensorcèle dès la première page et ne lâche plus le lecteur jusqu’à la dernière. Un exercice de style plus que réussi, mais à la limite du hors-genre – ce qui ne l’a pas empêché de rafler les prix Shirley Jackson et British Fantasy… Et si Ormeshadow était l’un des textes choisis pour infiltrer « Une-heure-lumière » dans la bibliothèque d’un public qui ne jure que par la littérature blanche ?

Stéphanie CHAPTAL

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