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Les critiques de Bifrost

Orphée aux étoiles : les voyages de Poul Anderson

Orphée aux étoiles : les voyages de Poul Anderson

Jean-Daniel BRÈQUE, Poul ANDERSON
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
240pp - 20,00 €

Bifrost n° 52

Critique parue en octobre 2008 dans Bifrost n° 52

Après la réhabilitation de Robert A. Heinlein par Eric Picholle et Ugo Bellagamba chez le même éditeur, voici celle de Poul Anderson par Jean-Daniel Brèque. Il est vrai que l'auteur, resté célèbre pour son cycle de La Patrouille du temps, était encore plus tenu à l'écart dans l'édition française en raison, à nouveau, de ses positions idéologiques. Il ne s'agit pas d'un malentendu comme pour Heinlein : même son gendre, Greg Bear, considère Poul Anderson comme le pire conservateur qui soit. D'entrée, Jean-Daniel Brèque expose ce qui fait débat, rappelle les polémiques du temps de Fiction, et propose de les dépasser afin de pouvoir examiner de façon plus sereine la production de cet auteur à la grande culture et l'imagination féconde dont l'œuvre bouillonnante va d'une S-F rigoureuse sur le plan scientifique à la fantasy épique, de la poésie à la saga historique. S'il critique violemment les excès de la contre-culture, c'est au nom de valeurs que ses héros incarnent et non d'un système. Anderson, proche comme Heinlein, qu'il admirait, du mouvement libertarien, lutte contre l'intolérance et pour la diversité, principe évolutif écartant la pensée unique, synonyme de sclérose. Devant les dégâts infligés à la nature, il finira d'ailleurs par renier son progressisme.

À noter que cet ouvrage est dédié à Richard D. Nolane, qui fut le premier à tenter, dès les années 80, une réhabilitation de l'œuvre de Poul Anderson avec Les Abîmes angoissants de Poul Anderson, anthologie parue chez Casterman, dans la collection d'Alain Dorémieux, ainsi qu'en publiant dans sa collection « Aventures Fantastiques », chez Garancière, quelques-uns des romans épiques, dont il confia les traductions à Pierre-Paul Durastanti et à… Jean-Daniel Brèque.

Ce que propose celui-ci n'est ni une biographie ni une étude universitaire de l'œuvre, plutôt une promenade empruntant à la vie et aux textes de quoi définir l'originalité de son apport à la S-F. L'exercice est parfois frustrant pour le lecteur, qui sent bien que des détails lui manquent, mais il est essentiel dans la mesure où l'œuvre de Poul Anderson n'était plus guère disponible et que l'entreprise de réhabilitation, faite de rééditions restaurées que l'on doit notamment à l'Atalante (cycle de Flandry), Folio « SF » (Les Croisés du cosmos, qui inspira Dan Simmons) et le Bélial' (intégrale du cycle de La Patrouille du temps, La Saga de Hrolf Kraki, Trois Cœurs, trois lions) doit, avant d'entamer une analyse approfondie de son œuvre, se poursuivre par la traduction des inédits, soit la presque totalité des vingt-cinq dernières années — à ce titre, saluons ici l'initiative des éditions Calmann-Lévy, qui ont entamé la tétralogie du Roi d'Ys, écrite en collaboration avec sa femme.

C'est donc une esquisse que propose Jean-Daniel Brèque, autour du parcours littéraire suivant plus ou moins l'ordre chronologique depuis les premiers récits d'une histoire du futur inachevée jusqu'à La Patrouille du temps, en passant par les cycles de la civilisation technique que forment La Ligue polesotechnique et l'Empire terrien/Flandry, et en poursuivant par la fantasy épique et les sagas historiques et mythiques des vikings et des celtes. Il livre des résumés souvent détaillés qui permettent de se faire une meilleure idée de l'œuvre, notamment des inédits (forts nombreux !). Se dégage progressivement le portrait d'un homme pessimiste quant à l'avenir de l'humanité, hanté par l'holocauste et par l'entropie en général, attaché à préserver l'humain au point de se méfier des systèmes et de cultiver les différences pour toujours combattre les préjugés et s'appuyer sur des contraires pour évoluer. Ce sont ces positions qui expliquent l'apparent grand écart entre la S-F et l'œuvre épique qui ne fait que se pencher sur les anciennes civilisations pour méditer sur leur déclin. C'est aussi le type de récit dans lequel il excelle ; on lui a longtemps reproché ses personnages stéréotypés au service d'idées brillantes, mais on a aussi toujours loué chez lui sa facilité à élaborer des intrigues aventureuses passionnantes et son sens de l'épique qui ont permit de le désigner comme le barde du futur. C'est aussi cet aspect que Jean-Daniel Brèque s'est attaché à dégager dans cet essai passionnant.

Claude ECKEN

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