Un roman intitulé Osama sous la plume d’un auteur israélien ? Avouons qu’un tel postulat peut laisser craindre le pire, surtout si on y ajoute la présentation de l’auteur faite par l’éditeur sur le rabat de la quatrième de couverture. Et pourtant…
Si la quatrième de couverture, justement, évoque Philip K. Dick et Le Maître du Haut-Château, ce qui est de bon aloi, davantage que le chef-d’œuvre de Dick, ce Osama est à rapprocher de Christopher Priest, ou encore du Wong Kar-wai de 2046. De Priest, on y retrouve des aspects de La Fontaine pétrifiante ; les « indistincts » renvoient au Glamour, et le ton, l’ambiance, ne sont pas sans faire penser à Une femme sans histoire…
À Ventiane, une femme sans histoire, précisément, vient demander à Joe, détective privé et personnage principal, de retrouver Mike Longshott, auteur d’une série de romans de gare à succès : « Oussama ben Laden, Justice Sommaire ». Entre cafés et whiskies, d’impasses en culs de sac, Joe va chercher l’insaisissable Mike Longshott de Paris à Londres, puis New York et retour via Kaboul…
D’Oussama ben Laden, point. Nulle part vous ne le verrez, si ce n’est en carton dans le hall d’un hôtel hébergeant la convention des fans de la série de Mike Longshott. De ses sinistres exploits, vous n’aurez que quelques extraits à l’écriture trop journalistique des romans de la série « Justice Sommaire ». Et on vous laisse imaginer un monde où vous pourriez arborer aux Etats-Unis un badge « I Love Oussama » sans même que cela ne paraisse de mauvais goût…
L’enquête de Joe s’apparente à une lente dérive de cafés en pubs, de pubs en clubs, dans un monde où il apparaît, y compris à ses propres yeux, comme de plus en plus diaphane, inconsistant. Un monde qui lui échappe. Un monde où les cadavres inhérents aux fusillades dont se parent tout roman noir qui se respecte s’évaporent comme dans Les Envahisseurs.
Sous la plume de Lavie Tidhar, le roman noir se grise et s’incolore, glisse loin du hard-boiled dans la fumée si joliment représentée sur la couverture et qui symbolise à elle seule tout ce roman où des ectoplasmes sans consistance s’évanouissent dans l’angle mort d’une vision périphérique. Peut-être n’est-ce pas ici le diable qui gît dans les détails, ni même l’enfer qui semble plutôt de l’autre côté d’un miroir sans tain. Chez Lavie Tidhar, tout est dans les détails et les allusions qui finissent par faire illusion. On se demande bien pourquoi une femme entre dans l’officine d’un privé occidental perdu au Laos pour lui demander de rechercher l’auteur de romans qui traînent sur le bureau du détective comme par hasard… C’est un univers révolu qui rappelle les années 70/80 où l’on fumait partout, parfois même de l’opium, pour s’ouvrir la porte d’un monde fort surprenant pour qui en entrevoit les inquiétants aspects futuristes. Avec un art consommé du flou et des fondus issus de vieux films, Lavie Tidhar nous mène à une cruelle révélation tout en demi-teinte, en tons pastels comme une aquarelle qui déjà se dilue sous une pluie d’été…
Si Christopher Priest, encore, devait écrire une histoire de fantômes, elle ressemblerait sans doute à ce livre…
Tout est en ambiance, en flou, en dilution. Tout est en finesse et n’apparaît qu’au coin de l’œil l’espace d’un instant avant de se fondre, de ne persister sur la rétine comme une image rémanente que le temps de faire naître le doute…
Mais de doute, il n’en subsiste aucun quant à la qualité de ce bouquin, qui n’a en rien volé son World Fantasy Award 2012.