Jo WALTON
DENOËL
368pp - 23,00 €
Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109
Été 2018. Sylvia Harrison est venue à Florence pour écrire son prochain livre. C’est une romancière et une poétesse reconnue, récompensée par un World Fantasy Award. Sa mère ne l’a jamais aimée, mais la littérature l’a aidée à grandir et s’émanciper, l’a sauvée. Elle apprécie les livres, les voyages et la bonne chère. Elle se prépare à participer à la Convention mondiale de science-fiction de San José. Jusque-là, il pourrait s’agir d’un portrait de Jo Walton. Mais Sylvia a 74 ans et, minée par la maladie, elle est consciente d’entamer son dernier livre.
Le narrateur est sa muse, l’ami imaginaire qui s’est incarné dans tous ses textes mais qui reste prisonnier de son crâne (sa « caverne d’os »). Il ne veut pas disparaître avec elle. Il va chercher l’immortalité pour sa créatrice et pour lui-même dans une Renaissance fictive, issue d’un cycle de romans que Sylvia a décidé de revisiter. À la recherche d’une porte sur un éternel été, il invoque avec son accord des souvenirs enfouis de la romancière, dévoilant progressivement les traumatismes de sa vie.
Ou ce que vous voudrez est un roman complexe, qui mêle les trames temporelles et spatiales, et les incises du narrateur en conversation avec Sylvia et avec un futur lecteur. Sa ville de fantasy, Thalia, est le miroir de Florence dans un monde de magie où l’on ne meurt plus de vieillesse, et où le Progrès n’est jamais advenu, où Marcile Ficin et Pic de la Mirandole, mais aussi Miranda et Prospero, sont des mages puissants.
La couverture d’Aurélien Police est une réussite, qui nous fait entrer dans le tableau, en mélangeant les époques et les mondes, et en attirant notre regard fasciné par le dôme de Brunelleschi, la clef d’entrée dans l’histoire.
Jo Walton mobilise les références littéraires de la science-fiction, de la littérature anglaise du XIXe siècle, des humanistes de la Renaissance italienne et des auteurs antiques. Comme dans Morwenna, ses personnages se nourrissent de vrais ouvrages en suscitant des désirs de lecture : Chelsea Quinn Yasbro (avec un clin d’œil appuyé à son Ariosto Furioso), Kim Stanley Robinson, Sofia Samatar… Ou ce que vous voudrez est donc avant tout une ode à la littérature, mais aussi à la culture et à la langue, sous une influence prégnante et revendiquée de Shakespeare et de son Italie imaginaire, avec une érudition gourmande et explicite. C’est aussi une déclaration d’amour à Florence, dont l’autrice nous dévoile les petits plaisirs au quotidien, du glacier de quartier au restaurant gastronomique associatif, et ses coups de cœur parmi les nombreux chefs-d’œuvre de la cité.
Seuls regrets : une fin qui semble un peu précipitée, et le ton distancié, inhérent à la construction du roman, qui freine une lecture immersive. SiMorwenna était un roman par et pour le fan, Ou ce que vous voudrez est un ouvrage d’auteur, un tour de force intimiste qui guide le lecteur dans les rouages de l’écriture : comment sont construites les intrigues, comment naissent et se développent les personnages… Pour ceux qui oseront entrer dans le tableau, soulever le voile, entrer dans la brume de la création !