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Les critiques de Bifrost

Oublier les étoiles

Simon BRÉAN, Xavier-Marc FLEURY
BLACK COAT PRESS
252pp -

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Lorsque l’on dit d’un livre qu’il est sympathique, cela sous-entend qu’il n’est pas totalement mauvais mais compte néanmoins sa part de défauts. Le présent recueil n’est pas sympathique, il est bon, voire très bon et les seize nouvelles rassemblées ici méritent toutes le détour, même les sept pour lesquelles le manque de place n’a pas permis de présenter une notule spécifique.

« Noir » est un très bon texte qui reprend le thème de l’humanité rendue aveugle par une expérience tournant mal. X.M. Fleury met en scène le péquin moyen et imagine ce qu’il pourrait bien faire si l’opportunité de rectifier de tir lui était donnée. Je ne vous en dis pas davantage…

« La Crique » est une nouvelle franchement politique sur la thématique des migrants qui, à travers une inversion de situation donne à réfléchir sur ce drame contemporain qui pourrait encore s’amplifier à l’avenir.

Dans « Le Travail Assassiné », X.M. Fleury s’empare, toujours avec la même ironie acerbe et son sens de l’humour noir, du thème très présent d’une hypothétique « fin du travail » où les IA feraient à peu près tout, ne laissant aux gens que le loisir de singer une activité professionnelle pour s’éviter de mourir d’ennui.

« L’Ami secret » a un petit côté dickien où, dans un contexte de colonisation et de terraformation, l’auteur s’interroge et nous avec lui sur les rapports que peut entretenir la religion avec l’altérité. Ici encore, l’humanité n’est pas présentée sous son jour le meilleur, – pour faire dans l’euphémisme —, et, quand par hasard un humain serait bon, ce n’est pas bon du tout pour lui.

« Jeux de guerre » revient, dans un contexte de futur proche, sur La Stratégie Ender qu’il retourne comme un gant. La guerre par l’entremise de jeux vidéo… Mais dans la guerre informationnelle l’arme est l’intelligence et peut-être est-il dangereux de croire que l’ennemi plus pauvre est plus stupide.

Dans « Pourfendre les dragons », l’auteur s’inspire des Croisés du Cosmos de Poul Anderson ou des Grognards d’Eridan de Pierre Barbet. Un chevalier qui tient sûrement davantage de Don Quichotte que de Tristan est capturé par des outremondiers elfes afin de débarrasser le monde des nains de ses dragons. Ici l’humour est un brin moins caustique…

Avec « Un cadeau presque parfait », Fleury rejoue « La Clé laxienne » de Sheckley dans un esprit s’apparentant fort à Damon Knight. L’auteur, qui maitrise fort bien l’art de la chute, est ici à son meilleur.

« Immersion » joue encore la carte du transhumanisme dans un monde dual où de riches oisifs en mal de sensations fortes se transfèrent psychiquement dans le corps d’animaux qui n’ont rien demandés. De nouveau, la bêtise humaine fait merveille.

Enfin, « Oublier les étoiles »est aussi court qu’excellent et Fleury y donne l’immense mesure de son art de la chute. L’écologisme règne et traque les derniers chercheurs à l’instar d’une nouvelle inquisition qui veut voir tout le savoir honni définitivement éradiqué et en finir avec tout rêve d’étoiles. X.M. Fleury nous laisse ici comprendre que savoir et intelligence ne vont pas nécessairement de pair ni que cette dernière n’est pas l’apanage des seuls bons.

Voici donc un bon recueil de fictions spéculatives qui donne à penser et à réfléchir, ce qui est plutôt rare par les temps qui courent où la tendance lourde va à une littérature de propagande assumée sans aucun complexe où les réponses sans questions sont assénées, martelées jusqu’à la nausée sans nul répit ni relâche. Oublier les étoiles ne va pas forcément à l’encontre du prêt-à-penser contemporain mais vous laisse le soin de tirer les conclusions par vous-même. X.M. Fleury manie une ironie au scalpel, parfois cinglante, associée à un art de la chute des plus consommé. Ses textes, faciles d’accès, peuvent constituer une porte sur le genre pour qui n’a encore jamais lu de SF. Il serait vraiment très dommage de faire l’impasse.

Jean-Pierre LION

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