En 1996, dans sa postface à la réédition chez Encrage du Sourire des crabes de Pierre Pelot, le regretté Serge Delsemme écrivait : « il ne peut plus être question, aujourd’hui, d’écrire un texte rigoureux où le terrorisme, qu’il soit présenté comme aveugle ou ciblé, soit vu par le lecteur sous un jour favorable ». Nous étions cinq ans avant les attentats du 11 septembre.
Pour un écrivain américain, dans le contexte actuel, il faut certainement posséder une sacrée paire de cojones, doublée d’une finesse et d’une érudition sans failles, pour faire d’un terroriste islamiste le héros de sa fiction, sans le présenter comme un monstre d’inhumanité, ni même porter le moindre jugement sur ses actes. Autrement dit : il faut s’appeler Norman Spinrad.
Le roman se déroule dans un futur relativement proche, où le monde musulman, du Pakistan à l’Algérie, s’est unifié sous la bannière du Califat. Oussama, prénommé ainsi en hommage à qui vous savez, est un jeune homme issu d’un milieu relativement aisé. Formé à l’espionnage, il est envoyé en France où il est chargé de trouver une main d’œuvre locale susceptible de l’aider à organiser des attentats. Mais sur place, le jeune idéaliste va très vite voir ses idées préconçues voler en éclat face à une situation infiniment plus complexe que ce qu’il pouvait imaginer. Pire, pour se fondre parmi la population, il lui faudra s’initier aux plaisirs interdits du sexe, de l’alcool et des drogues.
De manière assez surprenante, la première partie d’Oussama affiche plutôt des allures de comédie. Le candide héros découvre un univers qu’il ne soupçonnait pas, et les opérations auxquelles il prend d’abord part, plus médiatiques que violentes, finissent de le rendre sympathique aux yeux du lecteur. Progressivement pourtant, isolé au sein d’une organisation nébuleuse dont on ne sait jamais tout à fait qui donne les ordres ni quels sont les buts exacts recherchés, il va perdre le contrôle de la situation et se laisser emporter par les évènements, de plus en plus brutaux.
Oussama est un personnage qui doute en permanence. De sa foi, de ses motivations, de sa mission et des moyens de la mener à bien. Partagé entre d’une part une vision du monde manichéenne, qui fait des Etats-Unis le Grand Satan et du Califat le symbole de l’unité des musulmans du monde entier, et d’autre part une situation sur le terrain bien plus ambiguë, il n’a de cesse de se remettre en question, sans jamais tout à fait parvenir à trancher. Et si l’élément religieux constitue le socle de son combat, celui-ci trouve sa justification également et sans doute avant tout sur le plan politique.
De Paris où il fait ses premières armes au Nigéria où il lutte contre le pouvoir en place, soutenu par les USA, Oussama l’homme va progressivement s’effacer au profit d’Oussama le symbole de la lutte armée, la figure légendaire de la terreur. Réduit à cette image que le monde a désormais de lui, et pressé de faire des choix drastiques par une situation internationale de plus en plus explosive, il va être amené presque malgré lui à radicaliser ses positions, jusqu’au point de non-retour.
Avec tact et lucidité, Norman Spinrad nous fait pénétrer dans la tête de ce djihadiste, au fond guère différent de vous et moi. Loin de toute volonté de choquer, sans non plus adopter un point de vue moralisateur, son but est simplement d’essayer de comprendre comment un jeune homme indéniablement intelligent et sensible peut choisir de suivre une telle voie. Il y a quelque chose de profondément tragique dans ce parcours aux allures de gâchis inévitable, qui ne donne que plus de poids au propos de l’auteur, et fait d’Oussama l’une de ses plus belles réussites.