Futur indéterminé. La Terre est fichue, cramée, empoisonnée. Le seul espoir de l’humanité réside dans dix petites filles, âgées d’à peine sept ans, chacune en orbite autour de la Lune dans sa capsule spatiale avec son couple parental : le programme Paideia, terme issu du grec ancien signifiant « Éducation des enfants ». Dans peu de temps aura lieu la descente : elles vont se poser sur le satellite de la Terre et entreprendre la reconstruction de la civilisation. Ces dix gamines ne sont pas n’importe qui : avec leur intelligence hors-normes, elles sont en pleine capacité de relever les défis qui les attendent. L’une est spécialisée en droit, l’autre en biologie, telle autre encore en physique. La tête pleine, elles sont parfaites. Sauf peut-être notre narratrice, qui n’atteint que 4,2 sur l’échelle de Breuil-Rostocka, critère mesurant l’intelligence, là où les autres fillettes planent à 4,7. Brimée par ses camarades, elle compense par une rage et une pugnacité sans pareilles, et lorsqu’elle découvre ce qu’on attend d’elles dix – la tête pleine et les hanches larges — dès lors qu’elles poseront le pied sur le régolithe lunaire, elle n’a plus aucune intention de renoncer à ses rêves d’exploratrice… Après tout, dans le ciel comme sur terre, dans le futur comme le présent, il s’agit bien d’avoir le droit de disposer de son propre corps comme on l’entend.
Paideia nous plonge au plus près des pensées de notre jeune narratrice, femme-enfant, avec une prose expressive et volontiers immersive. Qui dit contexte futur dit langue adaptée à ce contexte, et à ce titre-là, le roman nécessite un petit temps d’adaptation : les interactions entre les fillettes se font en distanciel, mais les coups et molestations sont pleinement ressenties par le biais de combinaisons haptiques. Dans ces stations en apesanteur, il n’y a ni haut ni bas mais simplement côté lune et côté cosmos. Et ainsi de suite… Au-delà de cet univers clos volontiers déstabilisant, peuplé de couples parentaux impavides et de fillettes dont la brillance n’a d’égal que la mesquinerie, Paideia va à rebours des épopées (plus ou moins) triomphantes de rétablissement d’une civilisation après une catastrophe, questionnant les notions de libre-arbitre et de sacrifices avec la même fraîcheur que notre narratrice. Face à l’énergie déployée par Paideia, on passe volontiers outre les défauts véniels du roman.
Demeure un récit convaincant, en somme : on ne manquera pas de surveiller les prochaines sorties de Claire Garand…