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Les critiques de Bifrost

Pandore au Congo

Albert SÁNCHEZ PIÑOL
ACTES SUD
450pp - 9,70 €

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Albert Sanchez Pinol s’est fait connaître avec un premier roman formidable : La Peau froide, un hommage brillant à H. P. Lovecraft et à Joseph Conrad. L’histoire de deux hommes aux caractères opposés, bloqués sur une île, et qui ont à faire face aux attaques répétées de créatures mi-homme mi-poisson. La Peau froide a d’ailleurs connu un succès mérité, et a été traduit dans une trentaine de langues. Et après un premier roman d’une telle intensité, on pouvait espérer beaucoup pour la suite. Pandore au Congo, son second roman, est encore supérieur à toutes les attentes. Sur un thème — en apparence — assez proche de celui de La Peau froide, Albert Sanchez Pinol est parvenu à écrire un récit plus complexe, plus ample, et qui possède une puissance et un pouvoir de fascination rarement atteints. Un grand roman, tout simplement.

L’action se situe en 1914, à Londres. Thommy Thomson est un jeune écrivain de 19 ans, pacifiste et asthmatique. Il a d’importantes ambitions littéraires, mais pour subsister, il en est réduit à faire le « nègre » pour un écrivain mégalomane. Sa vie bascule le jour où il est contacté par Edward Norton (oui, comme l’acteur…), un avocat célèbre. Norton souhaite que Thommy écrive un roman à partir de la vie de son client, un dénommé Marcus Garvey (ce nom ne vous dit rien ?). Garvey est accusé d’un double meurtre, commis en plein cœur du Congo : il y aurait assassiné Richard et William Craver, les deux fils du duc de Craver. Intrigué par cet étonnant fait divers, Thomson accepte d’écrire l’histoire de Marcus Garvey. Il lui rend de nombreuses visites en prison, pour recueillir son témoignage. Garvey, d’abord réticent, fini par se confier à Thommy. Tout débute en 1912 : Garvey est alors employé chez les Craver, en tant que garçon d’écurie. Richard et William décident de partir pour le Congo, convaincus qu’ils sont d’y faire fortune. Garvey se joint à eux, afin de leur servir d’assistant. Les trois hommes s’enfoncent alors dans la jungle, et pénètrent dans des territoires inconnus. Obsé-dés par la soif de l’or, Richard et William n’hésitent pas à menacer de leurs armes les tribus indigènes. Entre les deux frères et Garvey, la tension monte. Mais les trois aventuriers sont rapidement confrontés à une menace d’une toute autre nature : des créatures étranges, anthropomorphes, mais qui semblent littéralement jaillir des entrailles de la terre. Les frères Craver capture l’une de ses créatures, une femelle d’une grande beauté nommée Amgam (magma, donc). Dès lors, le conflit est inévitable. Et entre ces créatures et les trois hommes, c’est une véritable « guerre verticale » qui commence…

Impossible d’en dire plus, sous peine de trop dévoiler l’intrigue de ce roman à tiroirs, qui entraîne son lecteur de surprise en surprise. Mais sachez quand même que ce court résumé n’est que le tout début d’une histoire incroyable, admirablement agencée, et qui va vous emporter très loin. On a beau chercher, difficile de trouver un défaut à ce roman magistral (quelques passages un peu longs, peut-être ?). Originalité du récit, intelligence et maîtrise de la narration, écriture fluide et nerveuse, personnages forts… Tout y est, tout concourt à faire de ce texte une œuvre intemporelle et marquante. Avec en plus cette indéfinissable touche de magie, ce sense of wonder qui fait toute la différence. En définitive, la seule question qui se pose, c’est de savoir si Albert Sanchez Pinol sera capable de faire mieux la prochaine fois (on précisera qu’il a en fait entamé une manière de tétralogie centrée autour des quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu, Pandore au Congo s’attaquant à la terre, après l’eau dans La Peau froide). Car on a vraiment la sensation qu’avec ce roman il s’est livré entièrement. Toutes ses obsessions semblent s’être donné rendez-vous là, pour y être magnifiées, sublimées par le biais de la fiction. Et ce n’est pas pour rien que le personnage principal est un jeune écrivain, ivre de tout connaître, de tout découvrir, et de traverser le miroir pour atteindre les vérités humaines les plus crues et les plus essentielles. Albert Sanchez Pinol nous ouvre sa boîte à fiction, son esprit, son cœur, et nous livre ses hantises intimes. Et tout ça, par le biais d’un récit extraordinaire, envoûtant, et qui passionne de la première à la dernière page. Ajoutez à tout cela un dénouement si inattendu qu’il en est presque choquant pour le lecteur, et qui donne à ce livre une dimension insoupçonnée. C’est du très grand art. Un de ces romans qui s’implante directement dans l’imaginaire de celui qui l’a lu, et qui distille pendant des mois des images fortes, puissantes, et une réflexion profonde. Le succès planétaire d’Albert Sanchez Pinol ne doit rien au hasard. Car lire Pandore au Congo, c’est vivre une aventure inoubliable, troublante et intense. Les écrivains capables d’écrire un roman d’une telle force, tout à la fois ambitieux et universel, ne sont pas légion. 

Xavier BRUCE

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