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Les critiques de Bifrost

Métal Hurlant

Valerio EVANGELISTI
RIVAGES
221pp - 16,77 €

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Autre antihéros mis en scène de manière récurrente par Valerio Evangelisti, quoique moins emblématique qu’Eymerich, Pantera est un Mexicain vivant aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la fois pistolero et palero, autrement dit adepte du Palo Mayombe, une religion afro-américaine assez similaire au Vau­dou qui lui donne une cer­taine compréhension des phénomènes surnaturels auxquels il sera confronté à plusieurs reprises. Per­sonnage solitaire et mutique, capable d’accès de violence meurtriers, Pantera est le protagoniste d’une nouvelle et de deux romans.

Il fait sa première apparition dans Métal Hurlant, recueil de quatre nouvelles proposant une thématique et une ligne chronologique commu­nes, et qui doivent également beau­coup à l’amour de l’auteur pour le heavy metal des anné­­­­es 80, à com­mencer par leurs titres. La première d’entre elles, « Venom », pose les bornes temporelles du recueil : le XIVe siècle de Nicolas Eymerich, qui y tient bien entendu le rôle principal, et un futur non daté où s’affrontent à mort deux bran­ches de l’humanité, dont l’une s’est radicalement transformée par l’utilisation d’un métal bio-actif. Com­me dans ses romans, l’inquisiteur met en branle une série d’événements dont les conséquences ne se feront pleinement ressentir que plusieurs siècles plus tard. Les trois autres textes au sommaire se rattachent de manière plus ou moins explicite au même cycle. Dans un futur proche, « Sepultura » décrit le fonctionnement d’un pénitencier d’un genre nouveau, à São Paulo, tandis que « Metallica » voit s’af­fronter les forces armées d’extrémistes chrétiens et musulmans dans un quartier de la Nouvelle-Orléans. Comme souvent chez Evangelisti, ces deux nouvelles mêlent science-fiction et fantastique, pour aboutir à un résultat aussi original qu’intrigant. « Pantera », le récit qui introduit le personnage éponyme, propose lui aussi un mélange de rationnel et de surnaturel, mesmérisme et magnétisme d’un côté, rites magiques de l’autre, face à un danger qui quant à lui relève du pur fantastique : de gigantesques statues de ca­valiers (les « Cow-boys from Hell », référence directe au plus célèbre album du groupe de metal Pantera) qui s’apprêtent à prendre vie pour réduire à néant un village texan. Mais avant de mener à bien la mission pour laquelle on l’a engagé, Pantera va avant tout chercher à découvrir ce qui a pu attirer une telle menace sur la population. Valerio Evan­gelisti s’amuse ici beaucoup avec les con­ventions du western, puisant davantage son inspiration dans les séries B transalpines que dans son modèle américain.

On retrouve ensuite Pantera dans Black Flag, roman sur lequel plane en permanence l’ombre du 11 septembre. À la lecture du prologue, on pense assister à la chute des tours du World Trade Center, avant de comprendre que l’auteur décrit en fait le bombardement de Panama City par l’armée américaine, fin 1989. Une scène qui donne le ton et annonce le propos du roman. Com­me chez Nicolas Eymerich, l’action de Black Flag se déroule principalement à deux épo­ques : en 1865, durant les derniers mois de la Guerre de Sécession, alors que Pantera rejoint un régiment de Confédérés semant la terreur dans plusieurs états du sud, et en l’an 3000, sur une Terre surpeuplée, dont les habitants ne se différencient plus que par la psychopathologie dont ils sont atteints : Schizophrènes, Hysté­riques, Phobiques, etc., on est littéralement en présence d’un monde de fous, où l’on s’entre-tue à tours de bras. De manière assez confuse et pas vraiment convaincante, Valerio Evangelisti tente de tirer une évolution logi­que entre ces deux époques : d’un côté des militaires qui renoncent aux lois de la guerre pour laisser libre cours à leurs plus bas instincts, de l’autre ces trois cents milliards d’individus ne vivant que dans la recherche d’un plaisir immédiat né de la souffrance d’autrui. Le romancier semble nous dire que les États-Unis ont donné naissance à une folie meurtrière qui a fini (ou finira) par se propager à l’ensemble de la planète, mais la démonstration est trop décousue et trop peu argumentée pour em­porter l’adhésion. Si l’on prend chaque partie individuellement, celle mettant en scène Pantera fonctionne plutôt bien, solidement ancrée dans son cadre historique. En revan­che, celle située dans le futur est à ce point outrancière qu’elle frôle le ridicule à plusieurs reprises.

Pantera tient son ultime rôle dans Anthra­cite, roman pourtant paru un an avant Black Flag en Italie, mais dont l’action se situe dix ans plus tard. Cette fois, Valerio Evangelisti met en sourdine les éléments fantastiques du personnage pour faire de lui le témoin de son époque. En 1875, Pantera se retrouve en Pennsylvanie, dans une ville dont les habitants vivent de l’extraction du charbon, dans des conditions abjectes, et où les luttes sociales s’apprêtent à prendre une tournure radicale. Ballotté entre les différentes factions qui s’op­posent, Molly Maguires d’un côté, une organisation secrète qui défend les droits des travailleurs d’origine irlandaise, agence Pinkerton de l’autre, chargée de protéger l’ordre et surtout les avoirs de la bourgeoisie locale, Pantera va faire ce qu’il peut pour sauver sa peau sans y perdre son âme. De par sa personnalité in­saisissable et la place qu’il oc­cupe dans le récit, chaque camp espérant le voir rejoindre sa cause, Pantera évoque ici, plus que jamais, le personnage de l’Homme sans Nom qu’interprétait Clint Eastwood dans les westerns de Sergio Leone, le cynisme et l’opportunisme en moins. Il est avant tout l’élément extérieur, étranger, semblable en cela à l’auteur, qui occupe une place de choix pour rendre compte de ce moment d’histoire. Anthracite, s’il met un terme à la carrière de Pantera, inaugure surtout un nouveau cycle dans l’œuvre de l’auteur, et met en scène le début des luttes sociales du pro­lé­tariat américain, un travail qu’Evangelisti poursuivra de fort belle manière dans Nous ne sommes rien soyons tout ! et Briseurs de grève.

Philippe BOULIER

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