Émilie QUERBALEC, Stéphane BEAUVERGER, LUVAN, LL KLOETZER, Silène EDGAR, Pierre BORDAGE, Lauriane DUFANT, Christian LÉOURIER, Floriane SOULAS, Romain LUCAZEAU, Audrey PLEYNET, Michael ROCH, Léo HENRY, Ketty STEWARD, Jean-Laurent DEL SOCORRO, Jeanne-A
ACTUSF
21,90 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Vingt-trois ans après Escales sur l’horizon, douze ans après Retour sur l’horizon, Par-delà l’horizon se propose à son tour de faire le point sur l’évolution de la science-fiction de langue française en dix-neuf nouvelles. Serge Lehman a cédé les manettes à Sébastien Guillot, mais le projet affiché reste le même.
Premier changement notable : le nombre d’autrices au sommaire. Elles n’étaient que deux dans chacun des volumes précédents, elles sont désormais dix, dont la majorité a publié ses premiers textes il y a moins de dix ans.
Autre élément intéressant : le nombre de textes se déroulant dans un futur proche, quand ce n’est pas carrément au siècle passé, comme « Golden Age Blues » de Frédéric Jaccaud, triste constat que le futur n’est plus ce qu’il était, et que l’émerveillement d’autrefois (celui de la SF de l’âge d’or comme celui de l’adolescence) a cédé la place à un présent d’une médiocre banalité.
Ces futurs proches se contentent le plus souvent d’éclairer les dérives de notre monde actuel : la place de plus en plus invasive qu’occupent les applications de rencontre dans notre vie sentimentale (« La Parfaite équation du bonheur » d’Émilie Querbalec), la fuite vers les réalités virtuelles pour échapper au quotidien (« La Solitude des fantômes » d’Audrey Pleynet), un monde du travail toujours plus violent et précaire (« Quantique pour la liberté » de Ketty Steward). Face à ces lendemains peu enviables mais guère originaux, Pierre Bordage préfère opter pour l’approche humoristique en imaginant devoir un jour payer pour utiliser les mots du dictionnaire (« Et le Verbe se fit cher »).
Stéphane Beauverger est sans doute celui qui a le mieux saisi l’air nauséabond du temps dans « Deimocratos », donnant corps à nos peurs collectives de tout ce qui se trouve à l’extérieur de nos frontières. À l’inverse, Jean-Laurent Del Soccoro est le seul à faire le choix de l’optimiste en tendant la main vers l’Autre (« Ne vous inquiétez pas, on va s’y mettre »).
Le post-apocalyptique est peu représenté dans cette anthologie, on ne s’en plaindra pas. Deux nouvelles, signées Léo Henry (« J’ai senti venir l’avalanche dès les premiers flocons ») et Michael Roch (« L’Heure où s’écrasent les Zabèy »), qui fonctionnent avant tout grâce à leur écriture intensément immersive. D’un autre côté, l’espace semble être un avenir sans issue où seuls L.L. Kloetzer et Silène Edgar se risquent. Les premiers nous invitent dans une station spatiale où le danger peut surgir à tout moment (« Le Pack »), la seconde donne à sa tentative de ressusciter l’humanité sur un monde lointain des allures de tragédie grecque (« Espoir »).
À plus longue échéance, quel avenir peut espérer l’humanité ? « Le Juge, le bot et l’écureuil », de Christian Léourier, semble acter la passation de pouvoir entre l’homme et l’IA. Floriane Soulas enfonce le clou en inversant les rôles (« Projet Cérébrus »). Chris Vuklisevic constate amèrement que toute tentative de réinventer l’humain pour ne pas répéter les erreurs du passé est vouée à l’échec (« Ce qui se tapit dans la Tour »). Peut-être l’humanité évoluera-t-elle jusqu’à devenir une forme de vie radicalement différente (l’incroyable « Carne » de Lauriane Dufant, sans doute le texte le plus dense, novateur et jusqu’auboutiste de l’anthologie) ou s’effacera-t-elle aux profits d’êtres artificiels rejouant en boucle les mêmes conflits qu’autrefois (« Variation sur un poème de Borges » de Romain Lucazeau).
Ajoutons à ces textes ceux on ne peut plus impressionnistes et cryptiques de luvan (« paôn » et « In der Höhle ») et celui, à mi-chemin entre SF et horreur, de Jeanne-A. Debats (« Chéloïdes » ), et l’on obtient une anthologie inégale mais d’une qualité globale tout à fait réjouissante, avec quelques hauts (Lauriane Dufant, Michael Roch et Stéphane Beauverger) sans vraiment de bas, donnant à voir une science-fiction française parfois inventive, régulièrement pertinente, plus souvent focalisée sur le « ici et maintenant » que sur le « ailleurs et demain ». Qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, difficile de passer à côté.