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Les critiques de Bifrost

Par-delà les murs du monde

James Jr. TIPTREE
DENOËL
345pp -

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

Pour savoir pourquoi James Tiptree, Jr. n’a publié que deux romans, dont seul le premier, Up the Walls of the World, a été traduit en français un an après sa sortie aux États-Unis en 1978, il suffit de lire ce dernier. Par-delà les murs du monde, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est bourré de bonnes idées. Nous suivons trois espèces différentes : des humains et un labrador faisant partie d’une expérimentation de l’armée américaine sur la télépathie et autres phénomènes paranormaux, d’immenses créatures volantes télépathes sur Tyree confrontées à la fin probable de leur monde et de leur mode de vie, et le Destructeur, une sorte de nuage cosmique sentient qui a fait sécession et s’interroge sur le but de son existence. Les humains, totalement en phase avec les obsessions de l’époque pour les manigances cachées des agences fédérales, les drogues et la libération ou la frustration sexuelle, forment un microcosme mal assorti de la société américaine. Sur Tyree, les rôles entre les espèces sont stricts : aux femelles, la chasse et l’exploration géographique ; aux mâles, les professions intellectuelles, la science et l’éducation des enfants (avec un système de couvade similaire à celui des hippocampes). Tyvonel, la narratrice de cette partie, cherche d’ailleurs sa place entre sa curiosité insatiable et son sens de la bienséance l’enjoignant à respecter les Pères. Quant au Destructeur ? C’est le plus énigmatique du lot, dont les motivations sont difficiles à saisir. La confrontation entre les trois espèces, les échanges de corps et autres péripéties forment une histoire riche et passionnante où se mêlent humains faillibles et extraterrestres fina- lement très proches de nous malgré leur étrangeté.

Mais cette œuvre de James Tiptree, Jr. souffre de deux défauts majeurs : un problème de rythme et une tendance à appuyer un peu trop sur ce qu’elle veut dénoncer (en tout cas, vu de 2024, car il est fort probable qu’en 1978, sans punchlines bien senties, ses lecteurs seraient passés à côté de certains problèmes qu’elle dénonce). Mais aujourd’hui, sauf à être particulièrement bouché (on en connaît), oui, on a compris quel personnage masculin est un harceleur, on sait aussi que l’excision c’est mal et combien ça impacte la santé mentale de qui la subit, et l’inversion des rôles et des perceptions entre les genres sur Tyree et sur Terre apparaît un brin forcée, voire maladroite. Et ce n’est pas le plus ennuyeux… Avant d’arriver au cœur de l’action, l’autrice risque de faire mourir d’ennui son lectorat avec une trop longue exposition. Il faut en effet attendre d’avoir passé un bon tiers du roman pour que les habitants de Tyree et ceux de la Terre entrent en contact. Et l’action ne démarre réellement qu’après avoir franchi la moitié du roman. Tout le reste se résume à un saut d’une espèce à l’autre à chaque chapitre sans réellement trouver de liens. D’autant que les chapitres ne sont pas petits, aussi à chaque fin c’est un déchirement de quitter Tyvonel pour passer à Daniel et vice-versa. Dommage, mais on sait la plume de James Tiptree, Jr. bien plus efficace en tant que nouvelliste. Et plus vive !

Stéphanie CHAPTAL

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