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Les critiques de Bifrost

Paradox Hotel

Rob HART
BELFOND
400pp -

Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112

Être cheffe de la sécurité d’un grand hôtel n’est pas de tout repos. Ce n’est pas January Cole, attachée au Paradox Hotel, qui dira le contraire. Victime d’une maladie professionnelle, le Décollement, qui l’a forcée à accepter ce travail au lieu de traquer les contrevenants sur le terrain, en deuil après la mort de sa compagne, elle traverse une mauvaise période. Alors qu’une tempête bloque tous les voyageurs dans l’hôtel pour une durée indéterminée, et qu’elle doit superviser la rencontre au sommet entre plusieurs repreneurs potentiels bourrés de fric, voici qu’elle découvre un cadavre de Schrödinger (allongé, dégoulinant de sang, sur le lit de la chambre 426… ou pas, suivant les observateurs), qu’un trio de bébés vélociraptors est lâché dans les couloirs, et que toute l’informatique de l’hôtel se déglingue, y compris, et surtout, la machine à café ! L’heure est grave… Plus encore quand on sait que les voyages proposés non loin du Paradox sont des voyages temporels. Les radiations sont responsables de la maladie de January, dont l’esprit dérive dans le temps – parfois le passé, parfois l’avenir – sans qu’elle puisse distinguer ses hallucinations du présent. Et les acheteurs potentiels de la technologie et des lieux veulent s’en servir selon leurs bons vouloirs et leurs caprices, sans se préoccuper de potentiellement annihiler quelques trucs totalement secondaires, comme la réalité…

À l’image du résumé ci-dessus, Paradox Hotel part dans tous les sens. L’histoire nous est racontée du point de vue de January Cole. Celle-ci, du fait de sa maladie, de son deuil et, avouons-le, de son caractère particulièrement imbuvable, n’est pas la narratrice la plus fiable qui soit. Et l’auteur de multiplier les fausses pistes dans ce faux roman noir, où il est impossible de savoir jusqu’au bout quel détail mentionné aura très vite son importance dans le récit, et quel autre ne sera qu’une scie agaçante revenant trop souvent. Heureusement, Rob Hart évite l’écueil de nombreux récits sur le voyage temporel, s’en sortant par une pirouette lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages que la théorie est à ce point complexe qu’ils ne savent pas eux-mêmes comment ça marche. Et pour compliquer le tout, Hart en rajoute une couche avec une critique à la truelle de l’ultracapitalisme et des références à peine voilées à Trump, Musk/Zuckerberg, et même aux relations entre le gouvernement des États-Unis et l’Arabie Saoudite. Ce qui a pour effet d’ancrer son récit dans l’époque où il a été écrit (2022, en VO) et d’amuser certains lecteurs de cette époque, mais qui risque fortement d’agacer ou de perdre les lecteurs futurs qui n’auront plus ces références. Au bout du compte, Paradox Hotel est une enquête en vase clos agréable, mais un peu trop fouillis, ne sachant jamais si elle doit aller à fond dans l’absurde, à la Douglas Adams ou à la Fredric Brown, ou bien rester sérieuse comme un Philip K. Dick…

Stéphanie CHAPTAL

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