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Les critiques de Bifrost

Pardon, s'il te plaît, merci

Pardon, s'il te plaît, merci

Charles YU
AUX FORGES DE VULCAIN
240pp - 16,00 €

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Avec la parution de Pardon, s’il te plaît, merci, les forges de Vulcain continuent leur travail de découverte de l’auteur américain Charles Yu. Ce deuxième recueil de nouvelles, après l’enthousiasmant Super-héros de troisième division (cf. Bifrost n° 92) paraît donc sept ans après sa version originale. Treize textes, de taille et d’intérêt, comme de bien entendu, inégaux. Le titre correspond à la division du recueil en trois parties : « Pardon », « S’il te plaît » et « Merci ». Et aussi à une nouvelle éponyme, unique texte d’une dernière partie, en forme de conclusion : « Toutes les réponses sus-mentionnées ».

« Pardon » commence par le poignant « Pack de solitude standard », où l’on vit le quotidien d’un employé. Sa société offre la paix à ceux qui en ont les moyens : vous ne voulez pas souffrir lors d’un enterrement ? Il vous en coûtera entre 500 et 2000 dollars en moyenne. Mais on peut aussi s’éviter la douleur pour une dévitalisation ou une migraine. Et alors, la souffrance est transférée à l’opérateur : le client en est libéré pendant une durée déterminée d’avance. Quant au narrateur, lui, il prend de plein fouet le malheur, la détresse des clients. Et ce, à longueur de journée. Combien de temps peut-on tenir à ce rythme ? Et quelle vie peut-on construire sans ces conditions ? La réponse n’est pas d’un grand optimisme. À l’image de la tonalité générale de cet ouvrage, qui oscille entre une certaine dérision et des interrogations existentielles. « Inventaire », longue nouvelle très aérée pour ce qui est de la mise en page, est à ce titre exemplaire. Le narrateur n’est qu’une longue suite d’interrogations, car tous les matins, sa vie semble différente. Seul ou accompagné d’une épouse  ? Dans la vie de tous les jours ou dans un océan rouge ? Serait-il le rat de laboratoire de Charles Yu ? Ne serait-il qu’un personnage sans cesse projeté dans un univers différent ? Mise en abîme, donc. Pas très originale, mais sympathique. Tout comme est sympathique la « Note à moi-même » où plusieurs « moi », tirés du multivers, tentent de dialoguer entre eux. Enfin, « Adulte contemporain » joue encore des apparences : les personnages peuvent s’acheter des vies, selon leurs moyens, comme on achète un appartement. Mais en plus complet : la bande-son est com-prise, tout comme les coupures publicitaires. Intrigant, certes, mais tout cela ne casse finalement pas trois pattes à un canard.

Il en va de même pour les nouvelles inspirées par les jeux vidéo : une zombie débarque en plein grand magasin et perturbe, à peine, le quotidien de certains vendeurs dans « Jeu de tir à la première personne ». Distrayant. Tout comme « Le Héros subit des dégâts considérables » , où le narrateur est un personnage de jeu, leader contesté de son groupe. Beaucoup de clins d’œil aux joueurs (les poulets rôtis, symboles de puissance retrouvée ; les classes de héros), quelques trouvailles, mais pas de quoi fouetter un chat, encore.

Pardon, s’il te plaît, merci reste bien en deçà de Super-héros de troisième division. Charles Yu semble se complaire dans une vision post-adolescente (après tout, il n’avait pas atteint la trentaine lors de sa rédaction) nourrie de jeux vidéo et d’interrogations sur la réalité du monde qui nous entoure, la vie en général, le couple, la famille. Souhaitons-lui de trouver les réponses qui lui permettront de nous offrir à nouveau des textes originaux et surprenants, plutôt qu’un recueil lu sans déplaisir mais vite oublié.

Raphaël GAUDIN

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