Connexion

Les critiques de Bifrost

Parle comme un homme, et autres textes

Nisi SHAWL, Terry BISSON, (non MENTIONNÉ)
GOATER
240pp - 14,00 €

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Nisi Shawl est auteurice, éditeurice, anthologiste et journaliste afro-américaine. Elle est queer et se définit par un prénom neutre (they) qui sera ici traduit par iel. Parle comme un homme et autres textes est un recueil de quatre nouvelles auxquelles s’ajoutent un article de non fiction, une interview de l’auteurice et une bibliographie complète.

« Marche comme un homme » met en scène une lycéenne aux préoccupations adolescentes (intégrer la bande de filles la plus courue du bahut par exemple) qui tombe amoureuse d’une intelligence artificielle incarnée, Sherry, dans un lycée virtuel. À un contexte cyberpunk qui n’empêche pas de jouer avec la figure d’une divinité mythologique, Nisi Shawl intègre des question de classe sociale, de genre et de couleur de peau. Dans « Les Sœurs de la poupée », Josette récolte des fonds — en vendant son corps — pour une association d’aide aux femmes en détresse. À chaque étape de son voyage, elle érige un autel pour Viola, une poupée protectrice de son âme, et pratique un rite pour lui donner la parole. Le sexe est présenté comme un commerce, un outil d’émancipation et un instrument de culte. « Quelque chose en plus », nouvelle sombre et ambigüe, suit l’évolution d’une chanteuse de rock mêlée à une lutte à travers temps entre une de ses descendantes et un sorcier malveillant. À moins qu’elle ne soit sujet au même mal que sa mère, victime de crises d’épilepsie à en perdre la raison… Plus court des quatre textes présentés ici, « La Plus grande aventure » médite sur la maladie et la mort. Du point de vue de la plus jeune d’une famille de trois sœurs confrontée à sa propre mortalité après un diagnostic de cancer. Poétique et percutant.

« Ifa : dévotion, science et technologie sociale » est un article issu d’une conférence donnée à l’université de Duke en 2010 sur l’Ifa, une religion et un système de divination yoruba. Nisi Shawl y explore les liens entre science-fiction, technologie et sa pratique de la religion Ifa, et dresse même un parallèles entre divination et méthode scientifique. Pour iel, aucune incompatibilité entre elles, mais un enrichissement mutuel qui pourrait conduire à se passer des divisions taxinomiques traditionnelles (SF, fantasy, réalisme magique…). Cette disparition permettrait de s’attacher à d’autres critères que les genres pour la sélection des ouvrages : vraisemblance, audace, originalité, esprit… et d’ouvrir des horizons de créativité pour toute la chaîne du livre.

L’ouvrage contient aussi une interview de Nisi Shawl par Terry Bisson, auteur de SF déjà traduit dans nos contrées (Hank Shapiro au pays de la récup’ en Denoël « Lunes d’encre », notamment) également connu pour avoir terminé l’écriture de L’Héritage de saint Leibowitz laissé inachevé par Walter M. Miller. Dans l’entretien, Nisi Shawl évoque son travail, son processus d’écriture, ses influences et amitiés – iel a côtoyé Octavia Butler, ou encore l’afroféminisme. Même s’il pourra frustrer par sa brièveté, Parle comme un homme et autres textes, par la diversité des nouvelles mêlant magie et technologie et les textes de non fiction qu’il accueille, constitue une bonne introduction à l’œuvre de Nisi Shawl. Reste à savoir si cette parution sera suivie par d’autres…

Karine GOBLED

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug