Une vieille asiatique, Helen Young, se rend dans un immeuble miteux de Chinatown, à San Francisco, pour y récupérer un coffre en bois. Si l’histoire commence de nos jours, c’est une évocation de la ville en 1940, dans les mois précédant l’entrée en guerre des Etats-Unis, qu’Ellen Klages propose ici, et plus particulièrement d’un milieu très marginalisé, celui de l’homosexualité féminine. Le Cercle réunit de façon informelle autour d’un repas des femmes de milieux différents qu’unit leur sexualité : Franny, une cartographe un peu sorcière, dont l’art de l’origami (ici orthographié ori-kami) permet de rapprocher différents lieux par le pliage ; son amie Barbara Weiss, dite Babs, une brillante mathématicienne qui voit de la science dans la magie ; Helen, avocate à ce point dépourvue de clients qu’elle survit en dansant dans un cabaret de Chinatown ; Loretta Haskel, illustratrice, qui gâche son talent en réalisant des couvertures de pulps ; et Emily Netterfield, une nouvelle venue aux ambitions littéraires, chassée de l’université pour avoir eu une liaison avec une autre étudiante. Ce sont surtout ces deux dernières que suit le récit dans les lieux emblématiques de la ville, au Mona’s Club, premier cabaret lesbien des États-Unis, toléré en raison de l’attraction touristique qu’il suscite, sur les hauteurs de Greenwich Steps, à la Foire internationale sur Treasure Island, ou encore à La Cité Interdite, le cabaret où se produit Helen.
On apprend au passage l’ostracisme dont sont victimes les lesbiennes, qui n’ont le droit de s’habiller en homme qu’à la condition de porter trois accessoires féminins, et les stratégies pour vivre malgré tout leur sexualité, en choisissant par exemple un mariage de convenance, ce qui n’est pas toujours sans conséquences. On découvre également l’art de la débrouille des milieux modestes, et les mille et une façons de vivre dans le cosmopolite San Francisco de 1940.
La magie n’intervient qu’en début et fin de récit, de façon discrète, pour magnifier cette histoire d’amour sur quelques airs de jazz. Malgré des dialogues un peu plats ou manquant parfois de naturel, la novella, qui s’achève là où elle a commencé, est d’une lecture plaisante, portée par des personnages très attachants qui illuminent ce récit. Plutôt qu’un manifeste, un lumineux appel à la tolérance pour les LGBT. Finaliste du prix Nebula, Passing strange a remporté le World British Fantasy et le World Gaylactic Spectrum Award.
« Caligo Lane » , une nouvelle téléchargeable gratuitement, complète de façon magistrale cet univers avec un touchant récit davantage centré sur l’art de l’origami.