[Chronique commune à deux titres de la collection « novella SF » : Pax Americana et Führer prime time.]
Lancée en octobre 2004 avec deux titres signés Jérôme Leroy (Le Cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges) et Jean-Pierre Andrevon (De Vagues et de brume), « Novella SF » propose l'ambitieux programme d'une collection poche de textes de science-fiction courts (et politiquement engagés), exclusivement francophones, sous des couvertures exclusivement laides et à un prix frôlant celui d'un roman grand format (pas loin de 13 euros pour certains titres !)… Si l'amateur de nouvelles que nous sommes ne peut que saluer une entreprise visant à défendre les textes courts, un tel programme et surtout, à un tel prix, ne lassait pas de surprendre (sans parler de la qualité des textes, auprès desquels une partie de la rédaction de Bifrost a trouvé sans peine son Razzy de la pire nouvelle francophone de l'année). Aussi était on en droit de s'interroger sur la pérennité de semblable projet. Voici pourtant que nous arrivent les numéros 5 et 6 de la susnommée collection, signés par deux auteurs forts appréciés par chez nous, Roland C. Wagner et Johan Heliot.
Wagner, qu'on ne présente plus, est un auteur toujours remarquable, drôle, doté d'un sens de la satire aigu, qualités qui lui font souvent gratter là ou ça fait mal, le tout avec une légèreté des plus déconcertantes. Enfin quand il ne cède pas à l'un de ses travers les plus récurrents : celui du strict minimum… Au regard de la taille de son texte, le plus court jamais publié en « Novella SF », on pouvait craindre le pire. Il réussit pourtant la prouesse, en 80 pages rondement menées mais en aucun cas expédiées, de nous dépeindre un futur proche assez crédible où, faute de pétrole, l'Europe a dû s'adapter, quitte à régresser, alors que les USA, campés sur des réserves qui s'amenuisent désespérément, se sont refermés sur eux-mêmes en refusant de voir l'évidence. Une évidence qui, quand commence le récit, promet bien de leur péter à la gueule. D'autant que, à l'heure de la première visite officielle du président américain sur le Vieux Continent depuis des lustres, un attentat se prépare… Gouailleur, rigolo, optimiste (c'est rare) et surtout dénué de cynisme (encore plus rare !), Wagner livre ici, à partir d'un sujet grave et pour le moins brûlant, un divertissement malin et sympathique, en prise avec notre quotidien et sans autre ambition que de divertir, même si on y trouvera sans conteste matière à réflexion.
Il est amusant de constater que, si le bouquin de Wagner est dédié à Norman Spinrad, celui d'Heliot ne peut pas ne pas faire penser à Jack Barron et l'éternité, du même Spinrad. « Führer prime time », sous une couverture particulièrement putassière et dans un récit hyper-vitaminé, nous dépeint un futur où le pouvoir politique a définitivement abdiqué face aux médias, l'éthique face à l'audimat (un monde qui ressemble cruellement à celui d'aujourd'hui, en somme). Porté par une idée forte (une émission de télé ou les intervenants, des figures historiques, sont ramenés à la vie pour 48 heures grâce aux mystères du génie génétique — le bouquin s'ouvre ainsi sur un débat hallucinant entre Elvis et Hitler !), Heliot déroule son histoire avec rythme et maîtrise. Aussi jouissif que celui de Wagner, mais plus noir, le texte d'Heliot pêche parfois par manque de crédibilité (on peine à croire à ce personnage central totalement mou du genou qui se laisse porter par les événements du début à la fin) ou d'une peinture politique et sociale qui frise souvent la caricature. Mais on pardonne bien volontiers à l'auteur car, après tout, grossir le trait est le propre du pamphlet, ce qu'est finalement « Führer prime time ».
Au final, « Novella SF » propose ici deux textes souvent très drôles qui, sous des dehors ou un ton légers, se révèlent engagés et politiquement colorés. Pas de chef-d'œuvre, non, mais rien que du très lisible et recommandable. Pour peu qu'on soit prêt à débourser 10 euros pour une heure de lecture et des livres sympathiques mais moches à crever.