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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38

De La Curée des Astres, du cycle des Fulgurs et de celui de La Légion de l'espace à la trilogie d'Alastair Reynolds et à ce nouveau roman de Karl Schroeder, le space opera a prouvé qu'il avait la peau dure. De Heinlein à Banks en passant par Niven, Harness ou Delany, il a connu bien des métamorphoses. Il a su s'adapter, évoluer. Il est à ce point emblématique de la S-F que pour certains béotiens, elle se réduit tout entière à lui seul. Et c'est souvent aux clichés du space opera que l'on se réfère pour définir la S-F.

Plus que tout autre sous-genre, le space opera repose sur la fameuse « suspension de l'incrédulité ». Le temps du roman, on va croire qu'il est possible de… La tendance du space opera moderne est de réduire cette demande de « suspension de l'incrédulité » qui n'en va pas moins rester forte, mais l'auteur va avoir désormais un souci de plausibilité et de vraisemblance. La première œuvre majeure à s'être inscrite dans cette tendance est le cycle du Centre Galactique de Gregory Benford. Dans celui-ci comme dans d'autres, on assistera à la fusion du space opera et de la hard science. Ainsi, on ne s'autorisera pas le dépassement de la vitesse de la lumière. Ce n'est pas le choix de Karl Schroeder, qui ne s'en inscrit pas moins dans ce courant et, thématiquement, Permanence est très proche de la trilogie d'Alastair Reynolds.

Comme le thème de la « vision » et du médium déferle sur les séries télé américaine, celui de l' « héritage » envahit le space opera. Outre Permanence et la trilogie de Reynolds, il sous-tend aussi La Lune des mutins de David Weber, le cycle des Heechees de Frederik Pohl ou La Vallée de la création d'Edmond Hamilton, L'Anneau-monde de Larry Niven ou encore l'univers de Laurent Genefort.

Permanence confronte deux civilisations humaines. Celle des Mondes Illuminés et de l'Economie des Droits, militariste, capitaliste, expansionniste, disposant de la propulsion supraluminique et vivant autour des vraies étoiles qui lui sont indispensables. Et celle du Halo, qui périclite à proximité des naines brunes dont l'économie durable dépend des cycleurs, des vaisseaux infraluminiques de plus en plus rares.

Issue de la civilisation du Halo, l'héroïne, Rue Cassels, découvre un cycleur inconnu, de facture non-humaine qui tend à prouver que les diverses espèces galactiques sont capables de coexister. Elle devient du coup riche et puissante, mais se voit impliquée dans la guerre qui oppose l'Economie des Droits à une rébellion. Représentant l'ED, l'amiral Crisler veut s'emparer du cycleur de Cassels qui le conduira à l'arme absolue qui donna l'hégémonie aux Chixulubs, la seule espèce à avoir dominé seule toute la galaxie après en avoir éradiqué toutes les autres formes de vie.

Permanence plaira à ceux qui aiment la trilogie de Reynolds. C'est du très bon space opera moderne, de l'aventure spatiale de qualité. On prend un plaisir certain à la lecture de ce roman. Mais au-delà ? La différence de qualité entre ce roman et des livres tels que Etat de guerre de Alexis Aubenque ou Casiora I & II de Juliette Ninet est patente, certes, mais toutes ces œuvres n'en jouent pas moins dans la même cour. À savoir, celle des romans dont la lecture n'apporte rien.

La question n'est pas de savoir si la S-F (le polar, le western, l'érotisme, le sentimental, l'historique, etc.) sont des genres mineurs ou majeurs. Il n'y a pas de mauvais genres, ni de bons. La césure est ailleurs. Elle sépare des œuvres d'art ou littéraires de produits commerciaux à caractère artistiques ou littéraires. L'œuvre permet à son récipiendaire d'élargir sa vision du monde en accédant plus ou moins à celle de l'auteur. À l'inverse, le produit recherche le plus petit dénominateur commun à ses consommateurs dans le dessein de réduire, de focaliser, de conformer la préhension du monde de tout un chacun en une unique vision stéréotypée. Elle donne à voir le monde par le petit bout de la lorgnette. Un roman tel que Permanence semble écartelé entre les deux tendances. La fadeur des personnages tend à l'incliner vers le produit alors que l'élaboration du contexte tire dans l'autre sens. La problématique reste trop diaphane et convenue pour que Permanence soit davantage qu'un très bon divertissement qui souffre d'un manque d'ambition spéculative pour prétendre à un autre statut. Dommage.

Jean-Pierre LION

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