Si vous êtes en ce moment plongé dans la lecture d'un pavé de S-F de 700 pages (ou d'un cycle de fantasy en 23 volumes !), et que vous voulez faire une pause, histoire de souffler un petit peu, voilà le livre qu'il vous faut : Personne ne regarde, de Davis Grubb. Douze nouvelles ultracourtes, qui slaloment allégrement entre thriller horrifique, fantastique et science-fiction old school. Un excellent recueil, paru en 1965, jusqu'alors inédit en France, et dont on se demande bien pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour qu'il soit enfin traduit sous nos latitudes.
Davis Grubb n'est pourtant pas un complet inconnu. C'est en effet à lui qu'on doit La Nuit du chasseur, un roman étonnant, magistralement adapté au cinéma par Charles Laughton, et devenu un film culte pour toute une génération de cinéphiles. À le relire aujourd'hui, c'est vrai que le roman n'est pas sans défaut (beaucoup de longueurs inutiles). Et il est vrai aussi que le film, onirique et pervers, possède un charme vénéneux et brutal qui n'est présent dans le roman que par intermittence. Mais tout ça ne justifie sûrement pas le fait que l'œuvre de Davis Grubb soit tombée dans un quasi oubli.
Dans Personne ne regarde (Twelve tales of suspense and the supernatural en VO), ce qui étonne d'emblée, c'est le sens du rythme, de la concision, et l'énergie dont fait preuve Davis Grubb. Chaque nouvelle est construite sur le même schéma : un début intriguant, déroutant pour le lecteur ; un développement ultrarapide ; et une chute inattendue, souvent macabre, parfois hilarante. Mais si la construction est toujours identique, ce qui frappe, en revanche, c'est la diversité des thèmes, l'inventivité et la variété des genres abordés : fantastique, science-fiction, épouvante… On ne sait jamais où l'intrigue va nous mener, quelle direction elle va finalement prendre. Par contre, on devine très vite qu'avec Davis Grubb, tout est possible, y compris le délire total : douze rats, devenus juges et bourreaux, qui vengent la mort accidentelle d'un vieux marin (« Le Rat de Busby »). Un mari jaloux qui, suite à une fièvre typhoïde, découvre qu'il a la capacité de sortir de son enveloppe charnelle, et ne trouve rien de mieux à faire que d'utiliser ce corps immatériel pour terroriser sa femme (« La Malle en crin de cheval »). Un technicien travaillant pour la télévision qui utilise la réflexion des ondes hertziennes comme moyen de téléportation (« Personne ne regarde »)… Rien n'arrête l'imagination frénétique de Grubb. Et inutile de dire qu'il ne s'embarrasse pas d'explications scientifiques. C'est drôle, cruel, souvent incisif. Comme dans cette autre nouvelle, un petit bijou intitulé « La Radio » : l'histoire d'un couple torturé à domicile par une radio qui émet en permanence et qui les matraque de messages publicitaires. Evidemment, tout ça finira mal, très mal. Car on se venge beaucoup chez Davis Grubb, et on assassine de toutes les manières possibles et imaginables. Chaque nouvelle est un cocktail détonnant, un savoureux mélange de fausse naïveté et d'humour noir. On pense à d'autres grands maîtres de la nouvelle : Fredric Brown, Robert Bloch, voire même parfois à Richard Matheson. Et on n'est pas du tout surpris d'apprendre qu'un des textes de Personne ne regarde (« Tu ne me crois jamais ! »), a fait l'objet, en 1965, d'une adaptation pour la télévision, dans la mythique série Alfred Hitchcock Presents. En résumé, et pour conclure : Personne ne regarde est un livre que tout le monde devrait lire. Car un peu de méchanceté et d'humour macabre, dans notre société si policée, ça fait du bien. Et pas seulement aux zygomatiques.