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Les critiques de Bifrost

Phare 23

Phare 23

Hugh HOWEY
ACTES SUD
240pp - 19,80 €

Bifrost n° 84

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

On ne reviendra pas ici sur la success-story de Hugh Howey, écrivain autopublié dont le succès est tel qu’il s’est vu proposer un contrat chez un éditeur établi, et dont les droits cinématographiques ont été acquis dans la foulée. Après la déferlante « Silo », voici donc venir Phare 23. Surprise, le roman est court, à peine 240 pages, alors que ses prédécesseurs pesaient facilement leurs 400-500 pages.

Le Phare 23, c’est le nom que le narrateur du roman a donné à son lieu de vie. Cet ancien soldat, dont on apprend rapidement qu’il est aussi un héros de guerre même s’il ne l’a pas voulu, a vécu un tel traumatisme qu’il a quitté le théâtre des opérations pour se voir confier une mission de haute importance : dans sa balise, située très loin du centre de l’activité humaine, il guide des vaisseaux commerciaux pour qu’ils empruntent des trajectoires sécurisées, loin d’éventuelles collisions avec des météorites. Un Émetteur d’Ondes Gravitationnelles lui permet de mener à bien sa tache ; l’EOG lui procure aussi son content de drogue, puisque les ondes ont un effet apaisant sur son cerveau et son mal-être permanent. La solitude lui pèse néanmoins, aussi se parle-t-il régulièrement à lui-même. Et quand ce subterfuge ne suffit plus, il découvre un extraterrestre mal embouché auquel confier ses peines, et qui prend la forme… d’un caillou. Toutefois, le calme sera de courte durée et les événements vont s’enchaîner de plus en plus vite…

Au bout de quelques pages, il ne fait plus de doute : ce roman est en fait constitué de plusieurs nouvelles écrites séparément et regroupées ultérieurement sous forme de fix-up. Impression confirmée sur le site même de l’auteur : comme pour « Silo », cette histoire a été narrée sous forme de cinq épisodes. La preuve pour le lecteur tient aux nombreux rappels des événements antérieurs situés au début de chaque nouvelle aventure. Si l’on ne remettra pas en cause le procédé originel d’écriture, on regrettera que l’auteur n’ait pas retravaillé ses textes pour en faire un véritable roman : à force de rappeler les péripéties passées, il se dégage de ce livre un certain nombre de redites pour le moins disgracieuses et lassantes.

Hugh Howey a néanmoins un talent certain pour dépeindre la psyché humaine : son portrait d’ancien soldat en dépression permanente et au bord de l’implosion fait mouche la plupart du temps. L’auto-apitoiement du protagoniste se pare régulièrement d’un humour salvateur, et il se dégage quelques bouffées d’optimisme qui le rendent tout sauf caricatural. On ressent alors ses espoirs, ses renoncements, un peu comme s’ils étaient nôtres. L’évolution du personnage, à mesure que les événements s’enchaînent et semblent lui prouver qu’il fait peut-être bel et bien fausse route, s’avère maîtrisée, même si l’exercice de description est ardu. Howey n’évite pas l’écueil de la surenchère au travers de la fameuse scène du caillou, qui détonne véritablement par rapport au reste et détruit en quelques pages la subtilité installée – dommage. Heureusement, la suite redeviendra plus convaincante.

Si ce roman est satisfaisant dans sa dimension psychologique, le développement de son intrigue l’est moins. La faute à des facilités de scénario qui sautent aux yeux : l’arrivée des trois chasseurs de primes et de la fugitive qu’ils pourchassent n’est absolument pas crédible, comme le quasi abandon par le personnage de sa balise au cours de la liaison qu’il entretient avec la femme responsable de l’autre « phare »… Bref, si Howey sait écrire efficacement, pour qu’on ait hâte de lire la suite, il convient néanmoins de fermer les yeux sur quelques très grosses ficelles (ou plutôt, pour faciliter cet exercice hautement visuel qu’est la lecture, de laisser ses facultés d’analyse rationnelle au vestiaire).

Phare 23 vaut donc au final par le très juste portrait d’un homme que le doute tiraille, un ancien soldat qui traîne sa capacité à ne pas être à la hauteur comme un boulet au poids trop insurmontable (portrait qui, très ponctuellement, peut virer à la caricature). On sera en revanche plus sceptique sur l’enchaînement des péripéties, tout en regrettant également que la forme originelle de cinq novellas distinctes n’ait pas été davantage gommée.

Bruno PARA

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