Le labyrinthe est à l’image de la vie : une épreuve semée d’embûches dont on ne sort que par la vérité ou la mort. Telle est la métaphore filée dans Piranèse, second roman de Susanna Clarke (après l’énorme succès de Jonathan Strange & Mr Norrell - critique in Bifrost n° 42). Le personnage éponyme évolue dans un dédale qu’il appelle la Maison, sans périphérie ni centre. Les salles s’y succèdent à l’infini, habitées de statues de marbre, parfois ouvertes sur le ciel ou sur une mer intérieure.
Le quotidien de Piranèse est rythmé par deux impératifs : la survie et l’exploration. Il ne s’y passe pas grand-chose. Surveiller les marées, sécher les algues, pêcher, manger, dormir, rendre un culte aux ossements parsemant le dédale ; quand il reste du temps, parcourir de nouvelles salles et consigner ses découvertes dans des carnets. Il ne sait pas ce qu’il fait là ni comment il y est arrivé ni même qui il est vraiment mais, deux fois par semaine, il partage ses observations avec l’Autre, qui lui ressemble, sauf qu’il a l’air d’en savoir beaucoup plus. En échange d’informations sur le labyrinthe, l’Autre lui apporte une aide matérielle avant de disparaître comme par magie.
Plusieurs indiscrétions de ce mystérieux visiteur, couplées à la relecture des plus anciennes entrées de son journal, vont le conduire à interroger la fiabilité de ses souvenirs, de ses jugements, et progressivement à remettre en cause la nature de la réalité qui l’entoure.
Dans la vraie vie, Giovanni Battista Piranesi, dit Piranèse de ce côté-ci des Alpes, fut en son temps (le XVIIIe) le créateur des Prisons imaginaires. Des estampes qui frappent l’imagination par leur architecture inquiétante, voire impossible, faite d’espaces souterrains aux proportions cyclopéennes où les humains errent comme des fourmis déboussolées. Toute ressemblance entre l’œuvre de l’artiste italien et le roman de l’autrice anglaise est non fortuite. Au jeu des influences, Susanna Clarke emprunte donc aussi bien à l’art qu’à la mythologie grecque ou à la théorie de l’inconscient jungien, pioche chez Mervin Peake, C. S. Lewis cité en exergue, et, pourquoi pas, chez Defoe, Piranèse (le personnage) partageant à bien des égards les traits et les vicissitudes du célèbre naufragé de Despair Island. Mais, sur le fond, le livre sait où il va. Pédagogue et généreux, il dispense une leçon d’écriture en jouant sur des thèmes en vogue, comme la défiance vis-à-vis des discours, la liberté factice, la confusion entre réel et imaginaire. Le tout au fil d’allées et venues dans ce palais claustrophobique et mégalomane – et pourtant curieusement enchanteur — qui n’est pas sans rappeler celui où l’humanité s’enferme chaque jour davantage.
Le livre, comme tout labyrinthe, a toutefois ses limites. Si on se laisse volontiers balader, on a cependant toujours un temps d’avance sur le héros, dont la candeur est certes attachante, mais possède aussi (ressenti personnel) quelque chose de fabriqué. De sorte qu’aucune révélation ne surprend vraiment, jusqu’à l’évasion tant désirée, dénuée d’équivoque, qui pourra laisser le lecteur un peu sur sa faim.