Premier roman paru en France d’un auteur cubain connu jusque-là pour ses nouvelles, Planète à louer rassemble en fait sept textes situés dans le même univers. On reste donc dans l’histoire courte, mais Yoss possède suffisamment de souffle pour lier l’ensemble avec talent et produire un livre dont la cohérence et la rigueur restent irréprochables. La nationalité cubaine de l’auteur pourrait n’être qu’anecdotique, mais le statut d’écrivain est toujours plus compliqué sur l’île que dans le sixième arrondissement. De fait, Planète à louer s’apprécie entre les lignes. Il y a d’abord la S-F pure et dure, sorte de version caribéenne du science of wonder qui ravira les nostalgiques, et la S-F politique qui nous rappelle que cette littérature est subversive par essence. Saluons donc les éditions Mnémos pour s’intéresser à Yoss et signalons au passage l’excellente traduction de Sylvie Miller.
En transposant la situation cubaine dans un futur proche où c’est toute la Terre qui se retrouve isolée, exsangue et dévastée, Yoss s’inscrit dans la même logique qui sous-tend les textes les plus ravageurs des frères Strougatski. Le plus pour parler du moins. Un récit divertissant, classique et linéaire, hanté par une interrogation douloureuse et permanente qu’on peut décider de ne pas voir en fonction de sa sensibilité. Face à l’indigence terrienne incapable de se débarrasser de la violence et désormais menacée d’extinction pure et simple par le spectre nucléaire, les civilisations extraterrestres finissent par intervenir. Voilà la Terre désormais au ban du pangalactisme dont elle ignorait tout. Les industries polluantes sont interdites, les déplacements de terriens rigoureusement contrôlés par des extraterrestres évidemment bien intentionnés, et c’est toute une planète qui se retrouve reléguée au rang de zone touristique, modifiant son économie pour s’adapter à cette demande nouvelle, seule pourvoyeuse de devises. Le parallèle avec Cuba est transparent, mais Yoss nous propose une vision de l’intérieur, ce qui nous change beaucoup des habituels donneurs de leçons. En s’intéressant au destin de plusieurs personnages aussi crédibles que touchants (prostituées, bricoleurs de génie, artistes), l’auteur décrit un monde douloureux, même si certains éléments laissent pointer çà et là une note d’optimisme (faut-il rappeler l’excellence du système de santé cubain ?). Mais à Cuba comme sur cette Terre du futur, la question reste entière. Que faire ? De quoi déconcerter même Lénine. Rester ? Partir ? Et pour aller où ? Ailleurs vaut-il vraiment le coup ? La Terre est-elle vraiment si pourrie ? Autant d’interrogations délicates qui s’éloignent de tout manichéisme et font de Planète à louer une œuvre tout sauf simpliste. Reste aussi la problématique de la lutte armée, de la résistance. Comment lutter quand la moindre revendication est réprimée dans le sang ? La lutte est inégale, bien sûr, faut-il pourtant abandonner le combat ? Yoss n’oublie rien et prend soin d’éviter tout jugement hâtif. Avec intelligence, il s’intéresse avant tout à ses personnages, dont les motivations profondes expliquent les actes et qui subissent surtout leur existence, sans vraiment parvenir à s’en sortir. C’est d’ailleurs cette passivité et cette résignation que l’auteur dénonce vraiment, deux défauts qui ont le mérite de s’affranchir de la politique et d’être lisibles de la même façon dans les deux camps. Pour toutes ces raisons, Planète à louer est non seulement une excellente surprise, mais une œuvre ambitieuse qui pourrait pêcher par son classicisme, mais qui a le mérite de rappeler quelques vérités fondamentales et salutaires. De quoi réconcilier à peu près tout le monde chez les lecteurs de S-F, ce qui, avouons-le, est franchement inespéré. Et de quoi espérer d’autres textes d’un auteur aussi sincère qu’attachant.