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Les critiques de Bifrost

Planetfall

Planetfall

Emma NEWMAN
J'AI LU
288pp - 20,00 €

Bifrost n° 87

Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87

Une petite colonie humaine s’est installée sur une planète désolée, Pathfinder, à proximité d’un imposant artefact, une structure considérée comme la Cité de Dieu, selon les dires de Lee Suh-Mi, qui, frappée par une illumination, a réussi à motiver une centaine de colons pour rejoindre ce lieu et y recevoir la Révélation. Vingt ans plus tard, celle-ci n’a toujours pas eu lieu et Lee Suh-Mi a disparu à l’intérieur de la structure, aux parois organiques, où l’on peut se perdre dans des niches et des creux contenant parfois de curieux objets laissant supposer des origines extraterrestres. Mais cela, les colons l’ignorent. Il est d’ailleurs interdit de pénétrer dans la structure en raison du danger. L’attente est le lot de la communauté, qui espère revoir un jour l’Éclaireuse, ayant institué un rite cultuel consistant à l’attendre devant la structure à chaque date anniversaire.

La communauté, solidaire et attentionnée, n’a de secret pour personne, chacun communiquant en permanence avec les autres membres via sa connexion réseau intégrée dans l’organisme. Les conditions de vie sont agréables mais chiches : les imprimantes 3D fabriquent tout ce que peut souhaiter un colon, des meubles aux vêtements en passant par les aliments. Est jeté dans un recycleur ce qui ne convient plus pour une reconversion en matières premières. Afin de ne pas vivre indéfiniment dans des combinaisons, les colons se sont génétiquement modifiés pour se protéger des microbes et allergènes de l’atmosphère, même si la consommation des noix locales reste impossible en raison de la présence d’un ADN étranger.

La surprise est de taille lorsque débarque Sung-Soo – trop jeune pour appartenir aux colons de la première génération –, une arrivée qui va bientôt bouleverser la tranquillité de la colonie. Car Sung-Soo affirme être le petit-fils de l’Éclaireuse. L’accident de nacelle ayant emporté au loin les occupants qui observaient la Cité de Dieu depuis le ciel a permis, contre toute attente, à quelques rescapés de survivre jusqu’à présent. À leur mort, Sung-Soo a entrepris ce périple improbable jusqu’à la colonie. Accueilli par tous, il est l’objet de la méfiance de Mack, le dirigeant de la communauté. La narratrice, Renata Ghali, est une scientifique qui a embarqué pour être tombée amoureuse de Lee Suh-Mi. Réparatrice des imprimantes 3D, elle récupère, dans le projet de les restaurer un jour, les objets abîmés ou mal façonnés que jettent les colons. Un secret la lie à Mack, qui l’étouffe chaque jour davantage, et qui pourrait bien faire voler la fragile communauté en éclats. Elle est en outre victime de ses névroses, qui la poussent à se replier sur elle, à fuir ses semblables, jusqu’à faire preuve d’agressivité devant ses difficultés croissantes à cacher sa maladie à son entourage. L’ambiance, tandis que se multiplient les non-dits et que les soupçons de mensonge se confirment, rendent l’atmosphère irrespirable. Progressivement, l’intrigue se détourne de l’énigme de l’artefact pour se concentrer sur le passé de Renata et la tragédie fondatrice des rites communautaires. Ce qui ressemblait à un récit de science-fiction traditionnel sort des sentiers battus en se transformant en suspense psychologique.

On ne peut qu’admirer la maestria avec laquelle, dans ce récit dont la densité renforce l’intensité, Emma Newman superpose au mystère initial une aventure intérieure, conjuguant dans un même élan révélation de soi et élucidation de l’énigme initiale. Un roman brillant, tout simplement.

Qui devrait être suivi de After Atlas, situé dans le même univers, et se déroulant sur Terre.

Claude ECKEN

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