Inédit en France, Plus grands sont les héros vient compléter les quelques textes traduits de Thomas Burnett Swann, auteur méconnu dans nos contrées et hélas promis à le rester au regard de la frénésie saisissant le milieu à la seule mention de son nom. Une exultation inversement proportionnelle à la énième réédition d’un titre de David Gemmell, pour ne citer que cet exemple. Rien n’est en effet plus éloigné des stéréotypes de la fantasy bas de plafond que la bibliographie de Swann. Une fantasy antiquisante, volontiers sensuelle, empreinte de délicatesse et de subtilité. Bref, le genre de récit à donner illico une grippe intestinale à l’adolescent boutonneux avide de sensations, disons plus brutales…
La lecture de l’œuvre de Thomas Burnett Swann dévoile un univers centré sur l’intime et les émotions. Une prose poétique, pour ne pas dire lyrique, portée par la fascination de l’auteur pour ce que l’on pourrait appeler la « Matière de Méditerranée ». Mythes et légendes gréco-romains figurent en effet parmi les sources principales de son inspiration, et quand bien même Plus grands sont les héros nous emmène du côté de la Judée israélite aux temps de la guerre contre les Philistins, l’imaginaire pré-judéo-chrétien imprègne cette histoire.
Le roman de l’auteur américain propose une relecture d’un épisode fameux de l’Ancien Testament. Une variation guère conforme au canon de la tradition juive de l’affrontement entre David, champion de la cause israélite, et le géant Goliath. Voici sans doute l’un des faits d’arme les plus célèbres de l’histoire de l’unification de la Judée, symbole d’une guerre asymétrique ne disant pas encore son nom, appelé à inspirer une généreuse postérité littéraire, artistique et cinématographique. Toutefois, le récit guerrier ne figure pas parmi les préoccupations d’un auteur plus intéressé par le marivaudage et les descriptions bucoliques. Burnett Swann préfère de loin raconter l’amour homosexuel entre David et Jonathan, l’héritier de Saül. Il livre également un portrait tout en nuances du roi vieillissant et de son épouse répudiée Achinoam, s’écartant des figures bibliques fondant nos représentations.
Comme souvent chez l’auteur américain, les mythes antiques fournissent la matière à un réenchantement de l’Histoire. Sirènes, Cyclopes et autres créatures de l’âge d’or ne font que souligner l’irrémédiable effacement des légendes antédiluviennes devant les héros de l’humanité. Une disparition inéluctable dont les motifs continuent pourtant à hanter la mémoire, perdurant dans le chant des aèdes et entretenant l’illusion d’un bonheur simple, dépouillé de toute arrière-pensée ou interdit religieux.
On serait bien en mal de trouver une once de manichéisme dans le propos de Thomas Burnett Swann. On ne décèle pas davantage d’esprit revanchard. Cette « Matière de Méditerranée » apparaît surtout comme une source d’émerveillement, propice à la contemplation et à la poésie. En cela, l’auteur américain s’avère précieux. Un petit maître de la fantasy dont l’existence trop courte a éteint la voix prématurément. Raison de plus pour louer son œuvre, trop confidentielle en nos contrées, et inciter les éventuels curieux à découvrir ce roman sensible évitant l’écueil de la sensiblerie. Et plus vite que cela !