Dès le premier texte de ce recueil formant roman, « 30 000 ans avant une oraison funèbre », le ton est donné : sortez les mouchoirs. C’est un voyage en terre de deuil, que propose Plus haut dans les ténèbres, de survie et d’acceptation. Si vous êtes du genre à regarder Le Tombeau des lucioles sans verser une larme, aucun souci, vous voilà en terre familière. Peut-être trop, d’ailleurs ? Tout dépendra de votre propre état d’esprit au moment de la lecture et de votre propre expérience de la récente pandémie.
« 30 000 ans avant une oraison funèbre » raconte comment un scientifique part en Sibérie faire le deuil de sa fille et poursuivre ses travaux après à la découverte d’une enfant morte d’un mystérieux virus 30 000 ans auparavant. Réactivé par la chaleur, ce virus va engendrer « la peste sibérienne » qui, depuis la Sibérie et l’Extrême-Orient, causera des victimes, principalement chez les enfants et les jeunes, partout dans sur le globe, en forçant la population mondiale (enfin, surtout ici, dans ces récits, les Californiens des environs de San Francisco et une partie des Japonais) à revoir leur conception de la mort et leur façon de faire leur travail de deuil. Là où, dans les autres récits récents de pandémie (Station Eleven, Les Somnambules, etc.), une part importante de l’histoire est consacrée à la façon dont l’Humanité lutte contre la maladie et/ou dont elle se reconstruit — des dizaines d’années après, parfois — c’est une préoccupation accessoire chez Sequoia Nagamatsu (hormis en filigrane dans « Notre fils porcin », qui laissera de marbre toute personne ayant, sur une idée similaire, lu Sang impur de Graham Masterton). L’auteur s’intéresse moins à la maladie qu’à la mort et aux changements qu’elle entraîne dans la vie des survivants et des malades. Et tout au long des quinze textes du volume, il va nous promener dans le temps — de la découverte du virus à l’échappée de l’humanité vers ailleurs — et d’un personnage à l’autre (avec parfois des clins d’œil dans un des textes aux protagonistes d’un autre) pour dépeindre un monde où la mort est devenue un commerce comme un autre, et où, peu à peu, l’humanité se détache de ce qui faisait sa spécificité. Certains récits, comme « La Cité des rires » (au sommaire du Bifrost n°111) sont magnifiques, mais même si ce fix-up s’achève sur quelques notes d’espoir, il manque un petit quelque chose pour en faire un grand récit. Le style de l’auteur (et la traduction soignée) ne sont pas en cause, c’est plus la froideur et l’antipathie des protagonistes choisis qui vont freiner l’immersion. Là où bien qu’étant prévenu dès les premières images du film, on ne peut que s’attacher au sort de Seita et Setsuko dans Le Tombeau des lucioles, tant Isao Takahata les dépeint avec des défauts, des qualités et des envies tellement humaines, Sequoia Nagamatsu maintient une certaine distance entre ses lecteurs et ses personnages. Certains, comme Dennis dans « Hotel funéraire », sont même parfaitement détestables, et au bout du compte leur sort — et par extension, celui de l’Humanité dépeinte dans ce recueil — importe peu. Les lecteurs analytiques qui n’ont pas besoin d’atomes crochus avec les créatures de papier apprécieront grandement ce livre s’ils sont d’humeur à sourire face à la mélancolie. Les autres, à quelques récits près, n’y retrouveront qu’un intérêt épisodique, le temps de quelques pages. Dommage.