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Les critiques de Bifrost

Plus morts que morts-vivants

Gardner DOZOIS, Jack M. DANN
BALEINE
75pp - 7,00 €

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

« Bruckman découvrit, pour la première fois, que Wernecke était un vampire quand ils se rendirent à la carrière, ce matin-là. »

Dans un camp de concentration nazi, un déporté réalise que l'un de ses compagnons de souffrance est un vampire. À l'horreur quotidienne vient désormais s'ajouter une terreur indicible qui ébranle ses ultimes barrières mentales. Combien de temps tiendra-t-il à ce régime ?

À partir de ce synopsis minimaliste, Jack Dann et Gardner Dozois brodent une longue nouvelle dont l'atmosphère angoissante s'impose comme une évidence. Le texte, paru initialement dans la revue Fiction (pas l'anthologie d'André-François Ruaud, mais bien la revue d'origine), a figuré également au sommaire du second volume de l'anthologie Trois saigneurs de la nuit édité jadis chez Néo. Il ne s'agit donc en rien d'une nouveauté. En effet, comme à leur habitude, les éditions Baleine ont exhumé un texte tombé dans l'oubli ; travail qu'ils monnaient fort cher au passage. À force de tondre le mouton, cette maison que l'on a connue plus flamboyante ne risque-t-elle pas de lui entamer l'os ? À défaut d'une réponse satisfaisante, intéressons-nous au texte.

Plus morts que morts-vivants est une nouvelle qui laisse quelque peu dubitatif. Non pas que son sujet paraisse choquant ou nauséabond — sur ce point, le propos s'affranchit de toute complaisance. En fait, c'est l'effet recherché qui provoque irrésistiblement le scepticisme. Dans une postface brève et argumentée, le traducteur du texte, Jacques Finné, nous explique que Gardner Dozois et Jack Dann s'inscrivent dans un courant qui vise à réhabiliter le mythe vampirique en usant d'un biais : celui de la relativité des maux. Autrement dit, pour « revivifier » le mythe, les deux complices ont mis en place un dispositif tordu, plaçant sur le même plan deux créations mortifères de l'esprit humain : le camp de concentration et le vampire. Cependant, le procédé accuse deux faiblesses qui le disqualifient de manière rédhibitoire. D'une part, la comparaison s'avère d'emblée biaisée puisqu'elle met en parallèle les conséquences d'un fait réel, authentifié par de nombreux témoignages et faisant l'objet de débats d'historiens, et les effets d'une croyance ne reposant sur nul autre fondement que ceux de la superstition et du folklore. L'Histoire versus la fiction, en somme. De quoi atténuer sérieusement l'effet recherché et, par la même occasion, de quoi entamer le capital de crédulité du lecteur. D'autre part, le génocide est un événement trop proche de nous, trop présent dans les mémoires, pour faire l'objet de fantasmes d'une ampleur équivalente à ceux induits par l'Inquisition, par exemple. À l'instar de l'eau et de l'huile, les composantes de Plus morts que morts-vivants se côtoient sans vraiment bouleverser les frontières entre la réalité et la fiction.

Alors que reste-t-il à nous mettre sous la dent ? D'abord, un récit fantastique très classique dont il convient de saluer la chute inattendue, et le traitement assez convaincant de l'ambiance oppressive et oppressante d'un camp nazi. Une restitution qui ne soutient évidemment pas la comparaison, en matière de devoir de mémoire, avec la littérature de la Shoah. Pour terminer, on encouragera tout de même les éventuels lecteurs, attirés par ce genre de récit, à mettre à profit la liste d'auteurs suggérés par Jacques Finné en fin d'ouvrage. Un coup d'œil, ça ne coûte rien.

Laurent LELEU

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