Vous savez ce qu'il y a de frustrant quand vous finissez un bon roman ? Savoir qu'il y a sept autres volumes qui vous attendent, mais en version anglaise ! Voilà ce qui se produit pour Point d'Inversion, premier opus d'une saga qui en compte aujourd'hui huit !
Les éditions Mnémos nous proposent donc le premier volet, paru en 1995, qui nous plonge dans l'Histoire de l'Empire Skolien, un univers tout à fait typique du space opera, truffé de cyborgs, de vaisseaux spatiaux, de princes, de princesses et d'amours impossibles. Et non, ce n'est pas gnangnan, même si on flirte de temps en temps avec un romantisme légèrement « kitsch ».
Résumons : un peuple extraterrestre s'est emparé d'une poignée d'humains il y a 6 000 ans, puis les a déposés sur Raylicon sans autre forme de procès. Ce groupe a développé des qualités empathiques particulières, qu'un savant nommé Rhon a tenté de recréer par manipulations génétiques. Le résultat actuel, l'auteur étant assez flou sur ce qui s'est passé entre temps : un « Empire Skolien », gouverné par une Triade d'esprits constituant un réseau de communications ultrarapides, basé sur la télépathie et l'empathie, et qui ne fonctionne que grâce à la présence d'un « psion » Rhon dans le système. Mais les expériences génétiques du savant ont aussi donné naissance à une race fondée sur l'insensibilité à la douleur, les Eubiens, qui sont en fait des empathes inversés, ne tirant de plaisir que de la souffrance des autres. Cette race, celle des « Aristos », aussi appelée « Troqueurs », est l'ennemie héréditaire des Skoliens. Une troisième faction entre en jeu dans la politique galactique : les Alliés, c'est-à-dire les Terriens, qui ont fusionné depuis le XXIe siècle avec les Skoliens, mais demeurent tout de même un peuple à part entière, indépendant sur l'échiquier politique. Voilà pour le décor.
Sauscony est héritière de la famille impériale skolienne, pressentie pour succéder à Kurj sur le trône de l'Imperator. C'est aussi une Jagernaute, commando d'élite cyberadaptée, télépathe, empathe et « psion » Rhon. Et, ce qui n'arrange rien, c'est aussi, eh oui, une femme… C'est le mélange de ces trois éléments qu'étudie l'auteur, mêlant scènes de combat, intrigues politiques et problèmes sentimentaux de son héroïne.
La première partie du roman, qui en compte trois, démarre sur les chapeaux de roue grâce à une écriture à la fois limpide et drôle, qui reprend les canons du space opera traditionnel tout en créant un univers original et complexe, tant sur le plan sociopolitique que culturel. Interfaces biomécaniques, I.A. et trottoirs en nervoplex coexistent en bonne entente dans une société au luxe parfaitement « décadent », gérée par un système politique tyrannique à la tête duquel se trouvent des « psions » que ne renierait pas Van Vogt… Catherine Asaro réussit là la gageure de distiller les nombreuses informations nécessaires à la bonne intelligence du récit avec élégance, sans entraver la marche de l'intrigue ni créer de digressions indigestes. Chapeau bas, parce que l'univers mis en place est aussi riche que touffu. La grande scène de combat, qui clôt cette partie et dont je veux bien manger mon chapeau si elle n'est pas été écrite en écho aux chasseurs Rebelles de Star Wars, reste malheureusement difficile à suivre, parce que très (trop ?) dense.
La seconde partie, « Camp Foreshire », est nettement plus lente, alors que l'on suit les réflexions de Soz, éloignée des unités de combat après cette dernière bataille. Moments difficiles, qui l'amènent à revenir sur son passé, ses désirs profonds, à rechercher l'aide du « requinqueur » et la compagnie des humains, mais aussi à définir enfin quel avenir elle veut vraiment construire…
« Diesha », volet qui porte le titre de la planète où se trouve le « QG » du gouvernement skolien, nous ramène à la politique. Parce que, ce que vous ne savez pas encore, c'est que l'héritier du trône des Eubiens, Jaibriol, qui accède alors au pouvoir, n'est pas franchement dans la plus pure lignée génétique de règle dans cet empire. En fait, c'est un mutant. Pire : un « Rhon », cette denrée génétique si rare dans l'univers. Et cela, Soz le sait : les Rhon s'attirent réciproquement… Mais la Triade skolienne ne voit pas d'un bon œil un quelconque rapprochement avec les Aristos, et Jaibriol ne peut en aucun cas avouer sa « tare » génétique à la face de son peuple, qui le lyncherait sans hésitation. Alors… ?
Trois parties, qui recoupent en fait les trois éléments de la Triade skolienne : le Poing, le Cerveau et le Coeur — le combat, la politique et l'amour, en montrant comment, à chaque moment, ils s'interpénètrent, aucun ne pouvant fonctionner sans les autres. L'idée n'est pas neuve, certes, mais elle est traitée ici sans en passer par des manifestes politiques ou philosophiques : l'histoire et les personnages parlent d'eux-mêmes.
Voici un texte comme on les aime : créatif, dynamique, qui donne envie de lire la suite, tout simplement. D'ailleurs, pour les anglophones désireux de se faire une idée de la suite en question, le site