Ned BEAUMAN
ALBIN MICHEL
384pp - 22,90 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Futur proche. À la mort du dernier panda, l’humanité s’est exclamée d’une seule voix « Plus jamais ça ! » Raison pour laquelle elle a joyeusement commencé à scanner le génome et le connectome du vivant et entrepris, dans la foulée, l’extermination de tout un tas d’autres espaces animales, en mettant au point un système de crédit d’extinction. Le capitalisme étant ce qu’il est, ce système fonctionne aussi bien que la théorie du ruissellement, et ces crédits ne possèdent donc pas une grande valeur. Après tout, une espèce est-elle vraiment éteinte si toutes ses données sont scannées ? Halyard est l’un des parasites qui se nourrissent de cette gabegie, mais il se retrouve bien ennuyé au cours d’une malversation, lorsque la valeur des crédits d’extinction grimpe brusquement dans la stratosphère. C’est alors qu’il croise le chemin de Karin Resaint. Biologiste spécialisée dans l’intelligence animale, Resaint se prépare à rendre ses évaluations sur le lompe venimeux (Cyclopterus venetatus), un petit poisson assez moche (juste un peu moins que le blobfish) mais censément malin, et dont l’environnement de reproduction s’est restreint à une seule zone de la mer Baltique. Zone qui vient d’être ravagée par des drones miniers en roue libre. Oups… Resaint et Halyard ne s’apprécient pas. Néanmoins, ils vont faire route commune pour tâcher de retrouver les derniers spécimens du lompe venimeux. Ce trajet les amènera à sillonner la Baltique, mer polluée au possible, des côtes suédoises jusqu’au golfe de Finlande.
Cinquième roman de l’écrivain britannique Ned Beauman, et troisième traduit de ce côté-ci de la Manche (après les très recommandables L’Accident de téléportation et Glow, tous deux aux éditions Joëlle Losfeld), Poisson Poison — titre bien plus amusant qu’en anglais — est une balade aussi désespérante qu’hilarante à travers l’Europe du Nord. Enfin, hilarante dans la mesure où l’humour est la politesse du désespoir. Il y a quelque chose de Peter Watts (d’ailleurs auteur d’une nouvelle titrée « Cyclopterus ») dans ces pages. Cette description d’un monde basculant pleinement dans la sixième extinction de masse, peuplé de technosolutionnistes plus ou moins à côté de la plaque, d’entreprises richissimes capables d’acheter des bouts de pays, de réfugiés mais pas du pays qu’on imagine, et de bestioles aux noms à coucher dehors, est saisissante.
Deux légers reproches à adresser au roman : Ned Beauman abuse un rien de la rétention d’information comme s’il semblait peu confiant dans les ressorts de son intrigue, préférant faire avancer ses lecteurs au travers de révélations et d’annonces très (trop) dosées. Enfin, la conclusion du roman n’est pas son point le plus remarquable. Il n’empêche, la balade vaut le coup. À lire (en attendant la mort du dernier panda).