Troisième roman d’Adam Sternbergh, Population : 48 est situé par son éditeur « quelque part entre Tarantino et La Quatrième Dimension » — ce qui laisse de la marge. On s’étonnera, à ce compte-là, qu’il n’ait pas osé « Et si Kafka avait écrit un thriller ? », tant la situation absurde des protagonistes du roman aurait pu y faire songer.
En effet, dans la (très) petite ville de Caesura, Texas, tous les habitants ont vu leur mémoire effacée « pour leur bien », dans le cadre d’une sorte de programme expérimental de protection des témoins. Nombre des habitants sont probablement des criminels, et de la pire espèce, qui ont évité la prison en balançant leurs semblables ; il n’est pas tout à fait exclu que certains d’entre eux soient des innocents — victimes qui, dans le monde extérieur, seraient aussitôt massacrées par la pègre ; aussi « Blind Town » est-elle coupée du monde : pas de contact, pas de sorties. Mais le problème, c’est que du fait de cette amnésie contrôlée, rançon de leur « liberté », les habitants de Caesura ignorent ce qu’ils ont fait pour arriver là — beaucoup se bercent de la conviction de leur innocence, mais le doute demeure toujours… Jusqu’au « shérif » de la ville, Calvin Cooper, qui est dans le même cas que ses « administrés ».
En huit années de programme, il ne s’est pas passé grand-chose à Caesura. Jusqu’à un suicide récent, suivi d’un meurtre manifeste – et par arme à feu dans les deux cas, ce qui n’aurait jamais dû être possible. Il faut enquêter, et remuer la vase – des souvenirs pénibles pourraient bien remonter à la surface…
Le sujet est bon, l’ambiance intéressante, e il y a assurément de quoi en tirer des choses profondes et stimulantes. À ceci près qu’Adam Sternbergh n’est pas Kafka, et n’a jamais eu l’intention de l’être : ce postulat très riche (et absurde) n’est jamais autre chose que ce qu’il est – un postulat, un point de départ. L’auteur en extrait un thriller efficace, même si passablement mécanique : on tourne les pages, ça fonctionne bien, mais il ne faut pas en attendre davantage. En définitive, Population : 48 ne va jamais au bout de son sujet, et écarte la réflexion très vite pour se contenter d’aligner les twists avec la régularité d’une mitrailleuse. Ce qui suffit à en faire un divertissement correct, encore que la fin du roman, avec ses révélations en pagaille, tienne de la mauvaise blague un peu navrante — est-ce là le côté « drôle » dont parle la quatrième de couverture ?
Ça fonctionne, oui… mais mécaniquement. Et du coup ça ne convainc jamais totalement. Dès l’instant où Adam Sternbergh affiche son orientation thriller, la perception du postulat change chez le lecteur : ce qui pouvait se permettre d’être absurde commence dès lors à manquer de consistance et de crédibilité. Au fond, on se rend compte bien vite que ça ne tient pas la route : rien, dans cette expérience, ne parait plausible. Ça n’était pas gênant au départ, mais au fur et à mesure que les « révélations » s’enchaînent, dans plusieurs trames parallèles dont un certain nombre des plus superflues, le scepticisme croît… jusqu’au rejet (ou, au mieux, disons l’indifférence).
Pourtant, Population : 48 se lit non sans un certain plaisir, on tourne les pages sans y penser. Cela doit tenir à une certaine science de l’auteur, dans la caractérisation des personnages, notamment, et l’ambiance – sans oublier quelques dialogues et, oui, mettons, un twist ici, un autre là.
Rien de bien renversant, juste un divertissement correct – on hésite à employer le qualificatif « honnête »… et on regrette un certain manque d’ambition, peut-être.