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Les critiques de Bifrost

Le Facteur

Le Facteur

David BRIN
J'AI LU
448pp - 6,70 €

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

Oregon 2013. Après la guerre atomique. Voilà pour le lieu, l'époque, le contexte. La sortie du dernier film de Kevin Costner, adapté du roman, est pour J'ai Lu l'occasion de rééditer ce livre publié initialement en 1987, une occasion qu'il ne fallait pas manquer, Ces douze derniers mois semblent décidément avoir été bien fastes pour David Brin, avec les publications successives de Rédemption (J'ai Lu), de La jeune fille et les clones (« Rendez-vous Ailleurs », Pocket), et cette indispensable réédition.

On ne peut qu'attendre de voir le film pour savoir comment Costner s'est tiré de son adaptation suite au bide de son Mad Max sur mer. Parce qu'entre Mad Max et Le Facteur, il y a autant de points communs que de divergences. Mad Max est le post-atomique dans toute sa triviale splendeur et son héros, le survivaliste par excellence, le guerrier. Or, les guerriers survivalistes n'ont pas le beau rôle dans le roman de Brin. Loin des hordes sauvages hurlantes de Mad Max, ce sont des tueurs du genre des Forces Spéciales qui égorgent, qui violent, qui massacrent la nuit, en silence. Bien qu'animés par une idéologie néo-féodale du plus mauvais aloi, ils sont du point de vue technique, tactique, des prédateurs modernes, plausibles. Ils ne jouent pas à l'attaque de la diligence… Gordon Krantz, le Facteur, n'est pas un « manche » non plus, mais il est bien incapable de venir à bout de ces maîtres à tuer comme Max l'eût été. Pourtant, à l'instar du même Max, après avoir été membre des milices luttant pour maintenir un ordre agonisant, il se battra aux côtés de ceux qui veulent rebâtir la civilisation. Tous deux incarnent l'espoir face aux barbares.

Krantz n'est pas un postier. Il a rencontré le Facteur au fond des bois alors qu'il fuyait après avoir été dépouillé : une veste en cuir étant plus utile sur ses épaules que sur une carcasse desséchée depuis vingt ans. Il imagine que le Facteur, blessé, a choisi de mourir en cachant le courrier plutôt que de le voir, tomber entre de mauvaises mains… De fait, il est le premier à mythifier le Facteur. Tout l'Oregon suivra. Et s'il est bien conscient du bobard qu'il sert, il sent que c'est un besoin pour les gens de tisser à nouveau des liens avec les autres communautés. Le voilà donc à distribuer du vrai courrier de villes en villes. Il arrivera ainsi à Carvallis, prospère communauté organisée autour du mythe du Cyclope, une intelligence artificielle morte depuis belle lurette. Ce havre est malheureusement menacé par les survivalistes du général Macklin, qui tiennent le sud de l'Oregon. La féministe Dena créera un corps d'amazones pour liquider les hommes mauvais que sont les survivalistes. De son fiasco militaire naîtra un troisième mythe.

David Brin se berce de douces illusions sur l'Amérique. D'ailleurs, les référents de cette Amérique datent du XVIIIe siècle et de Benjamin Franklin. En 1985, lorsque paraît le livre, les survivalistes sont soit des sportifs soit des inadaptés. Pas des gagneurs, Les seigneurs de l'époque sont les yuppies. L'intelligence, la volonté de puissance, la faculté d'adaptation, l'absence de tout scrupule d'un requin de la finance sont les qualités universelles du conquérant, du dominateur. Il n'y a pas vraiment besoin d'une guerre nucléaire pour que le féodalisme fasse retour. L'art de Brin est de mettre cette brutale mentalité en évidence. Tout en envisageant le pire, — illustré par Sheri Tepper dans Un monde de femmes — , Brin idéalise aussi le féminisme comme s'il ignorait tout de leurs écrits, comme si elles étaient absentes du milieu universitaire californien qui est le sien. Il est depuis devenu moins naïf en écrivant La jeune fille et les clones. Autre différence enfin, entre Le Facteur et la majeure partie de la S-F post-atomique, Brin est franchement technophile. Il attribue la responsabilité de la guerre aux hommes, non aux techniques.

Postman est un roman des plus agréables quoique trop idéaliste ; d'une lecture facile et intéressante, traversé de personnages attachants et de scènes poignantes. Populaire, profond, sensible, David Brin nous rappelle ici qu'il est l'un des meilleurs. Et si l'adaptation cinématographique est à moitié à la hauteur du roman (il est permis d'en douter…), l'image de la S-F en sortira vraiment grandie… N'a-t-elle pas encore un récent Starship Troopers à se faire pardonner ?

Jean-Pierre LION

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