Des deux côtés de l’Atlantique, la science-fiction n’en finit plus de contaminer la littérature générale. Dernier exemple en date : Pourquoi l’Amérique, recueil de treize nouvelles dans lequel Matthew Baker met en scène des sociétés en apparence proches de la nôtre mais qui s’en distinguent par au moins un élément significatif : un monde surpeuplé où les vieux sont invités à se suicider pour céder leur place aux jeunes, un autre où la surconsommation est une tare sociale inacceptable, un troisième où les prostitué(e)s ont le statut de véritables artistes, etc. Le ton varie beaucoup, allant de la franche comédie (« Pourquoi l’Amérique », qui voit une petite ville américaine faire sécession et réformer ses lois) à la tragédie (« Les âmes perdues » et ses enfants inexplicablement mort-nés).
Pour un lecteur de SF lambda, la plupart de ces textes ne se distinguent pas vraiment par leur originalité, et Matthew Baker donne parfois l’impression de vouloir réinventer la roue. Difficile à la lecture de « Le Sponsor », dans lequel les marques commerciales sont omniprésentes dans la vie de ses protagonistes, de ne pas comparer son traitement somm toute très prévisible à celui de quelques classiques, Planète à Gogos de Pohl et Kornbluth en tête. Même chose lorsque, dans « À lire en sens inverse », il raconte l’histoire d’un homme, de sa mort à sa naissance, dans un univers où le cours du temps est inversé.
De manière générale, Matthew Baker s’interroge moins sur l’avenir de la société américaine que sur son présent. Parfois ça fonctionne fort bien, comme dans « Apparition », où pour parler xénophobie et immi-
gration il imagine que des foules entières d’êtres humains surgissent de nulle part un peu partout dans le pays. D’autres fois il se plante lourdement, en particulier dans « Une sale journée en Utopie », où pour dénoncer les violences faites aux femmes l’auteur tient un discours aussi outrancier que caricatural et imagine une société féminine qui, en matière de cruauté et de cynisme, parvient à être pire que la nôtre.
Là où Matthew Baker excelle en revanche, c’est pour nous faire percevoir l’intimité de ses personnages. Ils sont souvent gauches, décalés, mal dans leur peau et dans leur société. Dans ce registre, la plus belle réussite est sans doute « La Transition », texte dans lequel un jeune homme souhaite se faire numériser pour se débarrasser de son corps, suscitant l’incompréhension et la colère de sa famille. Une fois évacués tous les arguments prévisibles dans ce type de débat, reste au final les émotions et les souffrances de chacun, et la capacité ou non d’accepter l’autre tel qu’il est. De la science-fiction à conseiller à ceux qui n’aiment pas la science-fiction ?