Dressons la tente : Anne Rice commence chez J.C. Lattès, croise avec Plon un certain nombre d’années puis atterrit chez Michel Lafon, qu’on ne remerciera jamais assez d’avoir sorti Maxime Chattam, imprimé du Rika Zaraï et édité la bonne parole de Jean-Pierre Foucault. C’est donc sur un papier rugueux, lourd et épais, sous la forme d’un volume aussi désagréable aux doigts qu’aux poignets, que Prince Lestat s’offre aux hordes fanatiques et affamées de fans français avides de nouvelles « Chroniques des vampires ». Au long des pages, le correcteur semble parti en vacances, avec l’illustrateur, et le traducteur pas vraiment concerné. Bref, d’un point de vue technique, Prince Lestat est moche et mal foutu. Heureusement, il reste l’auteur. Enfin… heureusement…
Anne Rice a su se hisser au panthéon du fantastique en brisant les codes de ses prédécesseurs pour imposer les siens. Sa bibliographie regorge de pépites telles que La Reine des damnés, Le Lien maléfique ou, dans un registre pas si éloigné qu’on le dit, Les Infortunes de la Belle au bois dormant. Son chef-d’œuvre, Entretien avec un vampire, on le sait, est étudié à juste titre dans certaines universités américaines. Il suffit de le relire pour comprendre qu’Anne Rice n’aurait pas à rougir en présence du fantôme de Bram Stoker. Ce qui n’est pas rien.
Mais qu’on en parle à quiconque a été assez courageux pour aller jusqu’au bout : à partir du diptyque Le Domaine Blackwood /Le Cantique sanglant, les vampires d’Anne Rice, ça n’a plus été ça. Intrigues cousues de fil blanc, personnages aussi vivants que Barbie & Ken, tics mièvres et sirupeux de l’auteure à longueur de pages : les jours glorieux semblaient déjà loin. Anne Rice tirait sur la corde mais se maintenait quand même au-dessus du sol. De justesse. Et puis la corde a cassé.
Avec Prince Lestat, l’aficionado passe un cap. On est ici largement au niveau de La Fin du Ã, le livre qu’A. E. van Vogt aurait dû refuser d’écrire pour Jacques Sadoul : l’histoire est creuse, son développement interminable et les tics sont devenus des mécaniques ultra-répétitives qui empêchent en permanence la mayonnaise de prendre. On se surprend à regretter la guimauve trempée dans du miel des deux opus précédents. Le schmilblick vampirique, quant à lui, n’avance pas d’un poil tant ces idées de voix dans la tête, de démon originel et d’accession au trône ont été rebattues, d’une manière ou d’une autre, dans de précédents volumes.
Il n’y a strictement rien à sauver, dans Prince Lestat. Et c’est une très mauvaise porte d’entrée dans l’univers d’Anne Rice. Sans doute la pire à ce jour.