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Les critiques de Bifrost

Printemps

Printemps

Rod REES
J'AI LU
544pp - 21,00 €

Bifrost n° 80

Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80

[Critique commune à Printemps, Été et Automne.]

Bienvenue à nouveau dans le Demi-Monde ! Dix numéros de votre revue préférée plus tôt, nous vous parlions d’Hiver, solide premier volet de cette tétralogie. Bref rappel : le Demi-Monde selon Rod Rees est une simulation informatique — gérée par le superordinateur ABBA, créée par le gouvernement américain pour entraîner ses soldats à la guérilla urbaine — qui mêle lieux, époques et figures historiques dans un joyeux et sanglant bazar. Parce que Norma Williams, la fille du président américain, s’est perdue dans le Demi-Monde, l’intrépide Ella Thomas est envoyée à sa rescousse… et découvre que le duplicata numérique de Reinhard Heydrich, qui a changé le Demi-Monde en véritable enfer, a l’intention de s’attaquer au Monde Réel. Hiver se terminait en laissant nos héroïnes dans des situations tendues : Ella échouant à empêcher l’échange de personnalité entre Norma et la fille de Heydrich ; Trixie Dashwood, pasionaria de la lutte contre le régime de Heydrich, finissant prisonnière de l’impératrice Wu.

Printemps débute précisément là où Hiver s’achevait. Sous les traits de Norma Williams, Aaliz Heydrich s’éveille dans le Monde Réel… qui s’avère ne pas être tout à fait celui que l’on connaît. Se faisant passer pour la fille du président américain, elle va entamer une croisade religieuse fondamentaliste dans des buts bien sombres. Dans le Quartier Chaud du Demi-Monde, Ella tombe entre les mains de ses ennemis, mais entame une transformation inattendue : elle que l’on prenait pour un daemon, la voilà possédée par un véritable démon, Lilith. Norma Williams, tirée des griffes des SS, va peu à peu s’opposer à celle qui l’a sauvée et lancer une mouvance inédite dans cet univers : le pacifisme. Quant à Trixiebell Dashwood, elle sort de prison au rang de générale lorsque le Quatrième Règne de Heydrich se prépare à attaquer le Coven. Eté voit la guerre faire rage dans le quartier asiatique du Demi-Monde et l’intrigue se focaliser autour d’une mystérieuse colonne gravée d’inscriptions étranges. Dans Automne, le conflit se déplace vers NoirVille et le District Autonome Juif en son sein — qui est aussi le lieu où se situe le dernier portail d’accès au Monde Réel… dit monde qui deviendra l’ultime terrain d’affrontement entre Norma Wil-liams et ses ennemis. Et peut-être l’ordinateur ABBA a-t-il son mot à dire dans cette affaire ?

Un Monde Réel qui s’avère ici uchronique, avec comme point de divergence la météorite tombée en 1795 non loin du village anglais de Wold Newton : ici, la voilà chargée de « cavorite », cette matière mise au point par Cavor dans Les Premiers Hommes dans la lune d’H. G. Wells. Notons que cette météorite avait déjà inspiré Philip José Farmer, ce dernier imaginant que, radioactif, l’aérolithe provoque des mutations génétiques chez les personnes à proximité : les ancêtres de Sherlock Holmes, Tarzan, Doc Savage ou Fu Manchu (cf. Tarzan vous salue bien ou Doc Savage: His Apocalyptical Life). Bref, le « Demi-Monde » s’inscrit dans cette lignée. Pour une réussite moindre… De fait, cette imposante tétralogie (plus de deux mille pages) ressemble à une blague un peu trop longue.

Le « Demi-Monde » est bardé de bonnes intentions : la guerre c’est mal, tout comme le nationalisme, le fanatisme, le racisme et l’antisémitisme. Vive le pacifisme ; l’amour (quoique de préférence hétérosexuel) triomphera de tout. Mais les bonnes intentions ne font pas tout. D’autant que la tétralogie n’est pas dénuée de quelques défauts structurels. La volonté forcenée de suivre les quatre saisons du calendrier, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, cause des problèmes de rythme, avec une action avançant par à-coups qui laisse des pans du Demi-Monde dans l’ombre. Faire de cette simulation informatique le véritable personnage de la série a pour conséquence de générer un casting, certes de luxe, mais quelque peu sous-exploité. Dur de s’attacher aux personnages, quand les principaux protagonistes deviennent secondaires et que les secondaires finiront mal… L’intrigue tient la route, tous les mystères trouveront leur justification, mais le final déçoit.

Enfin, conseillons la lecture en VO aux fans les plus hardcore : la série regorge de jeux de mots, dont bon nombre sont perdus à la traduction (Florence Dolisi n’a pas eu la tâche aisée, certaines trouvailles s’avérant tout simplement intraduisibles), absence qu’on perçoit dans plusieurs néologismes.

En somme, ambitieux mais trop long, le « Demi-Monde » se révèle une demi-réussite.

Erwann PERCHOC

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