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Les critiques de Bifrost

Prise de tête

John SCALZI
L'ATALANTE
352pp - 22,50 €

Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94

Prenez du football américain, associez-le à la fête du cheval d’Octobre des Romains de l’Antiquité (pour rappel, lors de cette cérémonie, deux clans se disputaient une tête de cheval fraichement tranchée qu’il fallait porter, malgré les coups des adversaires, jusqu’à un lieu déterminé) et vous voilà grosso modo avec l’hilketa, un sport plein de promesses… Mais comme il est devenu peu acceptable d’arracher des têtes ou d’autres membres à des êtres vivants lors d’une rencontre sportive, dans ce futur imaginé par John Scalzi, les participants sont en fait des cispés. Des androïdes plus ou moins anthropomorphes pilotés à distance par des hadens, ces personnes victimes d’un syndrome les condamnant à l’enfermement dans leur corps immobile (Philippe Boulier l’explique fort bien dans sa critique du premier volume, Les Enfermés). Le but de l’hilketa est simple : arracher la tête d’un cispé adverse tiré au sort et l’envoyer derrière la ligne de but. Violence, frissons et spectacle garantis ! Mais lors d’une rencontre amicale, un joueur s’écroule. Son pilote humain est mort. Accident ou meurtre ?

Pour le découvrir, on fait appel au duo de choc découvert dans Les Enfermés : les deux agents du FBI Chris Shane et Leslie Vann. Le premier, rappelons-le, est un haden (riche, et heureusement, car il détruit un nombre incroyable de cispés par roman !). La seconde, un flic comme on en croise souvent : efficace, mais pas commode. Vraiment pas. Leur enquête va les entrainer dans les coulisses pas forcément ragoutantes d’un sport en pleine expansion.

On l’a compris, John Scalzi renoue donc ici avec les recettes ayant fait le succès du premier opus paru en 2014 outre-Atlantique : deux personnages attachants, dont on découvre peu à peu la vie et le passé. Leslie Vann, un brin laissée de côté dans Les Enfermés au profit de Chris Shane, y gagne en épaisseur — on découvre notamment en partie la raison de son caractère peu amène. Mais aussi une intrigue solide, bien implantée dans le monde actuel. Car, si on est dans un récit futuriste, la société décrite ressemble comme deux gouttes d’eau à la nôtre. Et l’auteur se fait un vif plaisir de dénoncer les vraies raisons de l’intérêt de beaucoup pour le sport : l’argent. La vie des joueurs et de leurs proches compte bien peu face aux sommes mises en jeu. Enfin, et c’est la grande force de cet auteur, la fluidité et l’efficacité de ses dialogues. Les chapitres s’enchainent, l’action avance, les personnages se dévoilent essentiellement sous forme d’échanges verbaux. Une arme à double tranchant, cependant : un roman si rapide à lire prend le risque d’être oublié tout aussi vite…

Une propension que la production récente de John Scalzi accuse un peu trop : une bonne idée, un traitement sympathique, mais un fond qu’on qualifiera de… léger. La faute au contrat signé avec son éditeur Tor Books : 13 romans (dont 10 pour adultes) à fournir en 10 ans ? En tout cas est-on en droit d’espérer un soupçon d’exigence retrouvée : Scalzi flirte avec le statut de tâcheron, un faiseur distrayant mais superficiel. En attendant de voir, pas question de bouder notre plaisir avec cette lecture sans prise de tête.

Raphaël GAUDIN

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