Géraldine CHOGNARD
CAMBOURAKIS
160pp - 18,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Cambourakis poursuit son travail de (re)découverte de Joanna Russ (auquel on associera celui de Mnémos, qui a réédité L’Autre moitié de l’homme, devenu L’Humanité-Femme) : après L’Exoplanète féministe, recueil d’essais, de lettres et d’archives passionnant(cf.Bifrost n°114), l’éditeur propose ici un court roman, Protocole solitude. Cinq femmes et trois hommes atterrissent sur une planète disposanta priori d’une atmosphère propre à la vie ; mais la narratrice doute de leurs chances de survie réelles, et préfère envisager le pire, avouant même vouloir se suicider afin d’éviter une longue agonie. C’est compter sans les autres membres de l’équipage, qui ne partagent pas son défaitisme, tentent de jeter les bases d’une communauté, même s’ils doivent pour cela priver la narratrice de sa liberté et de ses choix. Quand ils décident qu’en tant que femme, elle se doit de perpétrer l’espèce avec l’un des mâles présents, elle refuse cette reconstitution patriarcale, s’enfuit puis, rattrapée, tue un à un les membres de l’expédition. La première partie de ce roman fait plutôt mouche, grâce à un usage immodéré du sarcasme de la part de sa protagoniste principale, qui, au-delà de ses envies suicidaires, brosse des portraits ravageurs de ses compagnons, entre des hommes fiers de leur force physique ou de leur réussite professionnelle, et des femmes réduites au rôle de simples faire-valoir ou de jeune fille née avec une cuillère d’argent dans la bouche. C’est tranchant, plutôt bien vu, et ça renverse pas mal de clichés d’une certaine SF traditionnelle. Mais cela se gâte très vite dès lors que la narratrice se retrouve seule sur la planète et parle à son vocodeur, nageant entre délire, hallucinations et souvenirs personnels, qui convoquent religion et politique dans un salmigondis incompréhensible rendant cette deuxième partie hautement insipide. On ne comprend plus le propos de l’autrice. Algis Budrys, dansThe Magazine of Fantasy and ScienceFiction,et Spider Robinson dans Analog, avaient taillé ce bouquin en pièce ; on se contentera ici de regretter que l’autrice ne se soit pas contentée d’une novella centrée sur la première partie, où son style mordant saura faire grincer quelques dents parmi ceux que la cause féministe indiffère…
Si le choix de l’éditeur de proposer un inédit de Joanna Russ est à saluer, force est de reconnaître que ce Protocolesolitude n’est pas la révélation la plus éclatante du talent de l’autrice.