Christopher FOWLER
J'AI LU
378pp - 12,04 €
Critique parue en octobre 1998 dans Bifrost n° 10
Ça faisait un bout de temps qu'on en parlait, de cette fameuse collection « Millénaires » en format semi-poche de nos amis de chez J'ai Lu. Faut dire que le concept est intéressant : « une présentation luxueuse, une sélection des meilleurs romans inédits à paraître dans les domaines du fantastique, genre millénaire, de la science-fiction, qui explore les millénaires à venir, et de la fantasy » (on remarquera en passant que la fantasy n'explore rien du tout et n'est pas un genre millénaire…). Et puis les auteurs annoncés ont de quoi susciter l'intérêt : Fowler, Gaiman et Lehman pour les premiers, Baxter et Jeter (avec la suite de Blade Runner !) pour les suivants… (Soit un francophone pour quatre anglo-saxons – bel effort, ajoutera-t-on un peu cyniquement.)
Le Fowler fut le premier à être imprimé mais pas à être diffusé, puisque chacun des trois auteurs sus-cités verra son bouquin sortir conjointement avec celui des copains). Il fut dont le premier à nous parvenir. Une nouvelle collection, ça se regarde attentivement. La couverture de Psychoville est spéciale mais très identifiable (d'après les visuels fournis par l'éditeur, celle du Gaiman est très belle, celle du Lehman pas terrible du tout). En tous cas, elle fait son effet… Quant à la maquette d'ensemble, c'est noir, extrêmement sobre, très polar, en fait. On se dit qu'il y a là une réelle unité ; on se laisse aller à conclure que côté visuel, ça tient la route.
Et puis on ouvre le livre…
Les March sont des victimes. Expropriés, ils sont contraints de quitter Londres et ses quartiers vivants et populaires. Ils se retrouvent alors logés dans une de ces banlieues cossues ou la petite bourgeoisie anglaise se plaît à couler des jours sans saveur mais paisibles. Ici commence la chronique des petites misères quotidiennes d'une famille prolétaire confrontée à la bassesse, la malveillance larvée, l'ostracisme d'une classe sociale aisée qui se refuse à voir son paysage gâché par la présence de voisins avec qui elle n'a rien en commun. On va pas non plus se laisser emmerder par le populo, ces gens qui roulent dans des voitures pourries, font du bruit, n'ont aucun goût, aucune culture, et sont d'une propreté douteuse. Non ? Ainsi, de désillusions en séries d'ennuis chroniques, la famille March se retrouvera bientôt marginalisée, conspuée, jusqu'à l'ultime déchéance, la fuite et la mort… Dix années passent. Un jeune couple propre sur lui, pimpant, brillant. vient s'installer dans cette même résidence qu'occupaient les March. Et les cadavres de ces petits bourgeois obtus de s'accumuler à grande vitesse, la terreur de s'installer dans cet univers de prospérité stérile…
La force de Psychoville réside dans ses personnages. Fowler est un auteur qui porte sur son prochain un œil aigu, précis, quasi clinique. Son roman en est une belle démonstration. Chacun des protagonistes (nombreux) est dépeint avec un réalisme consommé, une vraisemblance qui confère à l'ensemble de l'œuvre un aspect réellement saisissant. La misère humaine qui s'étale au fil des pages nous envahit peu à peu : on en viendrait presque à l'introspection, c'est dire. Côté narration, Fowler maîtrise là aussi impeccablement sa partition, sans brio certes, mais avec un professionnalisme évident. Jusqu'au dernier ressort de l'intrigue qui, s'il n'est pas époustouflant, remplit néanmoins son office.
On en conclura donc que Psychoville est un bon roman. Quant à la science-fiction, le fantastique ou la fantasy, à l'encontre de l'argumentaire fourni par l'éditeur, ne les cherchez pas ici. Car nous parlons bel et bien de polar… On s'interrogera donc sur la pertinence de cet ouvrage dans la collection « Millénaires » et, du même coup, de la présence de cette critique dans les pages de Bifrost…