Le Japon, l’époque d’Edo (probablement), sauf qu’on y cause de Frank Zappa (entre autres). Kakari Jûnoshin est un samouraï au chômage – même si on préfère dire « sans maître ». Et c’est une crapule. Là, comme ça, on le voit sabrer un petit vieux croisé dans la rue, sans raison apparente. Un samouraï local, employé du daimyô quant à lui, s’enquiert de ce geste, non qu’il lui viendrait à l’idée de le critiquer, et notre « héros » de lui tenir un discours délirant sur la menace constituée par une secte d’apparition récente, les Agitateurs de l’Épigastre, dont faisait de toute évidence partie ce très dangereux vieillard. Ces fanatiques, convaincus de ce que ce monde est illusoire, le piège ultime conçu par un ténia démiurgique, et de ce qu’il faut en être excrété pour toucher à la vérité vraie, sont une menace colossale envers l’Ordre, la Sécurité et la Croissance Économique. Bon, tout ça, c’est du pipeau, une ruse passablement tordue pour trouver à être employé en tant qu’expert de la lutte contre ces secoueurs de ventres, extorquer un peu de pognon et se barrer dans un autre fief et rebelotte, mais ça marche (bien sûr, que ça marche) : on l’embauche.
Et, forcément, ça dégénère. Les luttes de pouvoir locales se mettent de la partie, la politique avec un tout petit « p » contribue à grossir démesurément la menace, et bien sûr que les Agitateurs de l’Épigastre existent vraiment et sont vraiment dangereux – d’ailleurs, ils ont semé la zone dans le fief voisin, on vous raconte pas le bordel, enfin si, justement. Le problème, c’est qu’on a quand même fini par leur régler leur compte… et c’est embarrassant pour Kakari Jûnoshin et son « protecteur » : pour qu’ils conservent leurs positions et privilèges, il faut que la secte soit perçue comme menaçante… Et si on la ressuscitait un peu, pour voir ? Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
Faux roman historique, tant il est perclus d’improbables anachronismes, y compris dans le ton, et d’inserts fantastiques pas moins incongrus (mais agréablement simiesques), Punk samouraï joue la carte du délire permanent et irrépressible. Rien n’a de sens, tout est absurde, rien n’est sacré, tout doit être raillé et démoli. La figure du samouraï, et plus encore du rônin, en prend de sacrés coups, même si ça n’est pas exactement quelque chose d’inédit dans la littérature ou le cinéma japonais. Ce qui distingue le roman de l’ex-punk Ko Machida (sa troisième traduction française – on notera qu’il a été adapté au cinéma par Sogo Ishii), c’est l’excès systématique et le goût du non-sens. À maints égards, Punk samouraï a quelque chose d’une mauvaise blague qui fait durer le plaisir, mais dans le bon sens du terme : on en redemande volontiers et on se laisse emporter par cet ouragan de bêtise et de folie, ces personnages pour beaucoup haïssables mais hauts en couleurs, ces rebondissements illogiques qui s’enchaînent à la vitesse d’un Shinkansen conduit par Usain Bolt, et la virulente satire de la politique, de la caste guerrière et de la religion. Le roman s’avère vraiment très drôle, et efficace dans son irrévérence de tous les instants. Ce en quoi il est punk, sans doute. Aussi lui pardonnera-t-on quelques saillies scatologiques, inévitables avec un sujet pareil : on s’amuse beaucoup, et c’est tout ce qui importe.
On saluera la performance du traducteur Patrick Honnoré, qui a su livrer un texte français à la verve savoureuse, quitte à adapter un peu les allusions et gags innombrables de sorte qu’ils soient plus évocateurs à qui baigne dans la culture française sans forcément trop en savoir de la japonaise, via des citations plus ou moins discrètes, des jeux de mots épars, un argot pertinent – un lecteur français de fantasy pourrait être tenté d’établir un parallèle avec le travail de Patrick Couton sur les romans de Terry Pratchett.
Une réussite. À lire en secouant son épigastre.