Signe de la porosité des genres, la « Série noire » de Gallimard accueille des romans flirtant très légèrement avec l’anticipation. Des titres où le noir se mélange au penchant dystopique de la science-fiction. Thierry Di Rollo (Préparer l’enfer) et Jérôme Leroy (Le Bloc) ont ainsi apporté leur sensibilité à cette tendance où les cauchemars de l’avenir prennent leurs racines dans les dérives du présent. Pur d’Antoine Chainas semble creuser le même sillon. L’auteur français se focalise sur l’apartheid racial et socio-spatial dont les prémisses se lisent déjà dans le paysage urbain de notre république. Il choisit de pousser le curseur un peu plus loin dans le rouge, projetant l’intrigue de son roman à une époque indéterminée. Un avenir ne disant pas sa date, où aucun lieu ne livre son nom, où aucun personnage public ne révèle son identité.
Le synopsis de Pur a le mérite de la simplicité. Patrick Martin a perdu sa femme dans un accident dont les circonstances restent floues dans sa mémoire. Pour tout dire, il ne se rappelle plus pourquoi son véhicule a effectué une sortie de route, terminant sa course par quelques tonneaux fatals à son épouse. Peu à peu, des souvenirs émergent. D’abord celui d’une Mercedes qui le double. Puis, deux Arabes le menaçant d’une arme. Ces éléments dont il comble les vides le poussent au ressentiment et bientôt à la vengeance. Une pulsion attisée par sa belle-famille et le lieutenant Camilieri, adjoint du capitaine Durantal, en charge de l’enquête. Tous l’incitent à se faire justice, lui, le Blanc sans histoire dans toute l’acception du terme. Lui, le CSP+ au parcours exemplaire. Lui, le gendre idéal, dont les talents en sémiologie font merveille pour écarter les indésirables, du genre maghrébin ou Noir, des résidences fermées pour riches, sans prêter le flanc aux accusations de discrimination.
En lisant Pur, on ne peut faire l’impasse sur J. G. Ballard. Tout nous y invite. Le thème d’abord, auscultation clinique de la société et de ses névroses. Difficile de ne pas y voir un des sujets de prédilection de l’auteur britannique, du moins dans ses derniers romans. Le propos moraliste ensuite, détaché de tout affect et de toute empathie. L’écriture chirurgicale, empruntant son vocabulaire au domaine médical. Le cadre enfin, celui d’une Gated Community et de son environnement proche, un paysage n’étant pas sans rappeler celui de Sauvagerie (auparavant titré Le Massacre de Pangbourne) ou de Super-Cannes. Tous ces éléments concourent à malmener le lecteur, à instiller le malaise, en lui renvoyant en pleine face ce qu’il ne veut pas voir. L’échec du modèle d’intégration voulu par la République, englouti par la dynamique de la mondialisation. Prophétie auto-réalisatrice ? Hélas non, puisque la vision de Chainas existe déjà, née des décombres de la politique de la ville.
Mais voilà, l’auteur français ne s’empare pas de son sujet. Il hésite entre l’étude au scalpel d’une Gated Community, avec ses secrets et ses déviances, et un récit de politique-fiction, oubliant au passage son jusqu’auboutisme, tant apprécié dans ses précédents romans. Ici, le trouble se trouve désamorcé par une intrigue convenue, plombée par les poncifs et quelques personnages secondaires caricaturaux, le tout débouchant sur un épilogue bâclé.
Bref, avec Pur, Antoine Chainas suit les pas de J. G. Ballard. Malheureusement, il le fait en étant chaussé deux pointures en dessous de l’oracle de Shepperton. On a envie d’adhérer à son propos… Las, au final, on passe. Recommandons à tout hasard aux éventuels curieux ses précédents romans, autrement plus dérangeants, en particulier Une histoire d’amour radioactive (« Folio Policier »).