Ne se réduisant pas à une marge désolée de l’Imaginaire, la septentrionale Finlande en constitue une contrée à part entière. Bifrost s’est souvent fait l’écho de romans en provenance de la terre du Kalevala : ceux de Johanna Sinisalo (pas plus tard que dans le présent numéro), de Emmi Itäranta, de Antii Tuomainen, ou bien de Pasi Ilmari Jääskelaäinen. La publication de Quand je ne regarde pas offre l’opportunité d’approfondir la connaissance de cette « Finnish Weird » illustrée par ces écrivaines et écrivains. Toutes inédites, les huit nouvelles de cette anthologie ont été écrites par autant d’auteurs (sept femmes et un homme) jamais traduits en français. Selon les biobibliographies clôturant l’ouvrage, les unes apparaissent comme des auteures aux œuvres déjà conséquentes (Maija Haavisto, Magdelana Hai, Anne Leinonen, J.S. Meresmaa, Anni Nupponen, Tina Raevaara), les autres semblent être à l’orée de leur carrière littéraire (Maria Carole, O.E. Lönnberg). Mise à part « Quand je ne regarde pas » (Maija Haavisto) – récit dystopique sur les désastreux effets de lentilles connectées –, toutes les nouvelles relèvent du fantastique. Celui-ci plonge fréquemment ses racines dans un imaginaire ainsi que dans une topographie éminemment finnois. S’inscrivant chacune dans une nature sylvestre, «Le Liè-vre » (Anne Leinonen), «L’Éternité, comme d’habitude » (J.S. Meresmaa), «Le Marais au mort » (Magdelana Hai) et « Le Dieu de la rivière » (Anni Nupponen) mettent en scène des créatures évoquant plus ou moins explicitement l’univers animiste du Kalevala. « Poupée de chiffons» (O.E. Lönnberg), « La Mort de Matilda» ainsi que « Mon roudoudou, mon adorée » travaillent quant à eux des espaces et des motifs plus transnationaux. Toutes trois se déroulent en d’anonymes milieux urbains. Faisant à peine plus d’une page, « Poupée de chiffons» a des allures de mini « Horla ». « La Mort de Matilda » explore elle aussi le trouble identitaire au travers d’un récit de hantise. Quant à « Mon roudoudou, mon adorée », elle mêle surnaturel horrifique et obsession érotique, et constitue, par ailleurs, l’une des réussites de Quand je ne regarde pas. Cette histoire d’inhabituel godemiché trouble autant qu’elle inquiète en exposant la noire psyché de son mâle de narrateur. D’une écriture elle aussi fort convaincante, « Le Dieu de la rivière » éclaire d’un jour à la fois étrange et touchant le mal-être d’une adolescente. Une démarche et une thématique communes à «L’Éternité, comme d’habitude » et à « Le Lièvre », où le fantastique métaphorise avec empathie les souffrances de ses jeunes héroïnes. D’une narration moins achevée car parfois un peu trop elliptique, ces récits n’en ménagent pas moins d’inquiétants moments, de même que « La Mort de Matilda » et «Poupée de chiffons ». Seuls « Quand je ne regarde pas » – à la construction inutilement complexe – et « Le Marais au Mort » — d’une écriture bien plate — déçoivent. Ce qui n’empêchera pas, on l’aura compris, de recommander cette très agréable balade dans l’Imaginaire finnois.