James Graham BALLARD
FOLIO
475pp - 9,90 €
Critique parue en juillet 2010 dans Bifrost n° 59
Voici le dernier ouvrage de fiction publié par Ballard. Après Millenium People, qui dépeignait les révoltes sans but ni lendemain de la petite bourgeoisie, que tentaient d’éveiller des terroristes amateurs, Ballard nous entraîne dans les banlieues anglaises. Le personnage principal est un publiciste qui vient de la Marina de Chelsea, où il habite, enterrer son père assassiné en banlieue. Il se propose de retrouver le meurtrier. Rapidement, son intérêt se focalise sur le comportement des banlieusards, qui s’ennuient à mort et vivent englués dans les filets d’un immense centre commercial. Celui-ci sponsorise en soirée d’innombrables matches de tout ordre, et dont les supporters ivres se défoulent à la sortie du stade sur les étrangers. Ces étrangers tiennent des boutiques le long des voies rapides qui conduisent au Centre. Ils ne participent donc pas à l’orgie de consommation qu’entretient le Centre par la voix et l’image de l’idole qu’est devenue l’animateur David Cruise. Ils sont donc doublement étrangers car ils ne participent pas à ces nouveaux ersatz de spiritualité. Afin de se reconnaître, les supporters portent tous des chemises blanches avec une croix rouge — de Saint Georges.
Dans le cadre de son enquête, Richard Pearson se rapproche de l’animateur et devient son scénariste pour des spots publicitaires qui incitent encore plus à la violence, ont un grand succès, lui donnent un statut de chef, et entraînent, sinon justifient, de nouvelles manifestations racistes. Jusqu’au jour où, après un attentat contre l’idole, le Centre se coupe du monde extérieur, gardant des milliers de consommateurs en otage, que la police, enfin présente, délivrera longtemps après. Le roman aura imaginé comment se crée un mouvement fasciste, dont le chef n’incarne rien de précis, mais est appelé par le vide du sens social proposé. La passivité de la police, les dénégations du gouvernement, laissent penser qu’il s’agit pour eux d’un « laboratoire social » grandeur nature. C’est pourquoi ils laissent se développer jusqu’au bout cette « expérience » dont les consommateurs — consentants, à leur insu — sont les victimes. Le Centre Commercial, idolâtré, a remplacé les cathédrales : il invente un espace avec le consumérisme comme horizon spirituel.
Cette dimension religieuse ironique est même accentuée par le titre français qui détourne le « votre » règne du Notre père de façon sarcastique, en un « notre » règne, celui des idoles. Il en va de même dans le choix du nom de l’assassin malgré lui, « Christie », qui, comme le Christ, tente de ressusciter les valeurs anciennes par un acte sacrilège — abattre les ours en peluche grandeur nature —, mais abat involontairement le père de Richard.
Ballard, en situant ses personnages et son héros (?) à la fois dans la réalité sociale actuelle et dans la visée d’un léger décalage anticipatoire, nous offre un avant-goût d’un futur de S-F contre l’advenue duquel toute résistance est vaine et même contreproductive. Un ouvrage à l’ironie ravageuse.