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Les critiques de Bifrost

Qui a peur de la mort ?

Nnedi OKORAFOR
PANINI FRANCE
528pp - 16,00 €

Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74

« Mes amis, craignez-vous la mort ? »
Patrice Lumumba, seul premier ministre élu démocratiquement de la République du Congo.

 

Demain, l’Afrique, après une terrible catastrophe qui a provoqué en grande partie la fin de la technologie et la résurgence, brutale, de magies partiellement oubliées…

Née du viol, Onyesonwu (ce qui signifie « Qui a peur de la mort », sans point d’interrogation) est promise à devenir une sorcière. Elle est ewu (métis) et eshu (en contact avec le monde des esprits) ; elle peut se transformer en animal, et son préféré est le vautour. Plus important encore, il a été prophétisé qu’elle mettrait fin à la guerre entre les Okekes (le peuple de sa mère) et les Nurus (le peuple de son père, seigneur de la guerre et dangereux magicien). Pour devenir sorcière, Onyesonwu devra d’abord convaincre le vieux Aro de la former. Ce sera très difficile, il ne prend pas d’apprenti de sexe féminin. Les femmes n’apportent que des malheurs.

Premier roman adulte de Nnedi Okorafor, lauréat du World Fantasy Award 2011, Qui a peur de la mort ? est assurément une des plus belles découvertes de ces derniers mois. D’abord, l’objet-livre — 530 pages avec rabats pour 16 euros seulement — est magnifique, agréable à manipuler. Et la traduction de Laurent Philibert-Caillat m’a semblé absolument impeccable. Apre, chatoyant, érotique, féministe (évidemment), passant sans cesse du sordide au sublime, de la tendresse à la cruauté, de la romance aux étreintes sous contrainte, du noir et blanc au chamarré, voilà un roman qui nous happe sans mal, malgré quelques défauts : la seconde moitié est (beaucoup) trop longue, les tics « jeunesse » de l’auteur surgissent parfois ici et là, entre un viol et une excision, ce qui a tendance à minimiser l’impact de certaines horreurs décrites. Le destin d’Onyesonwu nous marque longtemps, sa première quête (retrouver son clitoris excisé) pourrait être « ridicule », mais non, on la suit avec intérêt et quand, enfin guérie, elle se donne au grand amour de sa vie, Mwita, on est content de la savoir jouir sans limites. Le sexe est alors présenté comme une immense source de joie et une voie vers la plénitude, ce qui contraste évidemment avec l’éprouvante scène d’ouverture. Roman dur, qui commence donc par un long viol, continue par une excision, atroce tant dans son déroulement que dans sa raison d’être, et se poursuit avec diverses joyeusetés dont une terrifiante scène de lapidation, Qui a peur de la mort ? n’est sans doute pas le roman « fédérateur » qu’il aurait pu être, mais son cadre africain et sa radicalité (même si elle bute un peu sur les réflexes jeunesse de l’auteur) méritent d’être salués. Moi je dis : Caddie !

Thomas DAY

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