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Les critiques de Bifrost

Qui après nous vivrez

Qui après nous vivrez

Hervé LE CORRE
RIVAGES
400pp - 21,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

« Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis. Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de nous mercis. » Extraite de la Ballade des pendus, cette citation de Villon introduit le titre du roman d’Hervé Le Corre, en fournissant son exergue funeste. Du milieu du xxie siècle jusqu’à sa fin, nous suivons ainsi trois générations de femmes, Rebecca, Alice et Nour, dans le chaos provoqué par l’effondrement de notre civilisation. L’Hexagone n’est plus en effet qu’un territoire en proie à la guerre de tous contre tous, sur fond de pandémie, de bouleversement climatique et de retour à la barbarie. Une terre où prime l’instinct de survie contre toute autre forme de valeurs ou d’humanité. Dans un paysage ravagé par les bandes fanatisées, les unités militaires vivant sur le pays et les vagabonds, elles forment une lignée portant dans leur matrice les germes de l’avenir. Hélas, dans ce monde incertain, elles ne sont finalement plus que des proies pour les soudards et l’enjeu malsain d’une domination masculine qui se perpétue au fil du temps, avec la complicité d’hommes et de femmes guidés par la lâcheté et la facilité.

En lisant Qui après nous vivrez, d’aucuns penseront immédiatement à La Route de Cormac McCarthy, ou à Exodes de Jean-Marc Ligny. Il est vrai qu’Hervé Le Corre aborde une veine qui a beaucoup été creusée par les laudateurs du récit post-apocalyptique et des avenirs qui déchantent. Ils trouveront sans doute ici matière à nourrir leur passion cathartique, mais ils auraient tort cependant de réduire ce roman à une énième redite, une déploration supplémentaire destinée à nourrir leur appétit à jouir du présent avant qu’il ne soit trop tard. Porté par une écriture magnifique, Qui après nous vivrez est le portrait nuancé de trois femmes, jetées sur la route par les circonstances, dans la panique de la débâcle, de l’incurie et du déni. Un portrait sensible et sincère d’où ressort un attachement profond pour l’humanité. Hervé Le Corre s’adresse au présent, mettant en scène sous nos yeux la catastrophe annoncée et documentée depuis plus de trente ans, à laquelle nous assistons en spectateurs ballardiens désabusés. Qu’a-t-on fait pour l’éviter, si ce n’est entretenir l’illusion d’un exil extraplanétaire un tantinet totalitaire ? L’auteur s’adresse également au futur, à la manière d’une capsule temporelle destinée à nos descendants, sur qui repose le fardeau de continuer notre Histoire. Nous pardonneront-ils d’avoir à assumer la responsabilité d’actes qui ne sont pas les leurs ?

À défaut d’une réponse de leur part, Qui après nous vivrez reste une lecture salutaire qui nous sort de notre zone de confort, un moment fort de cette rentrée littéraire de janvier. Assertion non négociable.

Laurent LELEU

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