Dans sa passionnante préface, Curval expose que le propre de la science-fiction est de présenter des univers insolites, qui provoquent l'étonnement. De là à affirmer que le lecteur de S-F est un éternel touriste, il n'y a qu'un pas, allégrement franchi, pour explorer les conséquences de ce déracinement perpétuel : absence d'implication, solitude de l'étranger de passage ou expatrié, exclusion du quotidien et perte de repères, distorsion avec son environnement. À force d'être partout sans jamais prendre part à rien, et de se déplacer toujours plus facilement, l'éternel touriste risque bien « de perdre le point de vue terrestre, de devenir un humain moins qu'humain. »
Cette analyse est brillamment démontrée par le biais de onze nouvelles où Curval s'attache à traquer les dissonances du quotidien et les stigmates de l'exil. Tous les récits ne ressortissent pas à la science-fiction, le fantastique est tout aussi approprié pour étudier ces fractures instillant le doute. Pour parfaire l'identification, le lecteur est souvent promené sur des plages exotiques, où des chasseurs d'images, des chercheurs d'épaves et des promoteurs ambitieux connaissent des destins funestes. Mais les pérégrinations citadines sont tout aussi mortifères : le diesel y devient une maladie qu'on tente de soigner par la lecture. La perte d'identité provoque fréquemment l'amnésie ou prend des aspects monstrueux : la greffe d'une mémoire supplémentaire annihile les deux identités occupant un seul corps ; à l'inverse, un touriste se transforme en entité monstrueuse en absorbant les personnes qu'il côtoie ; ailleurs, un conférencier amnésique débarque dans un pays où les habitants arborent les traits de son visage dont il est dépossédé. Souvent sombres, ces textes se teintent d'un humour noir mêlé de cynisme : le dictateur expatrié sur une planète à dominer échoue par manque de méchanceté ; Blanche-Neige demeure avec un seul nain, une créature cybernétique qui la viole ; l'étranger poussant son exploration aux limites de l'univers s'enfonce dans le néant.
De sa plume précise et imagée, Curval parvient à faire éprouver au lecteur les malaises du voyageur décalé avec ces récits où l'étrangeté semble être devenue la norme. Bienvenue dans la science-fiction rastaquouère !