Edgar Hoffmann PRICE, (non MENTIONNÉ)
GALLIMARD
1408pp - 69,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
« Nom de Cthulhu ! H. P. L. est dans la “Pléiade !” » Voici l’exclamation que ne put réfréner l’auteur de la présente critique face à la couverture du volume n° 673 de la collection fameuse. Celle-ci associant à la canonique mention de « Bibliothèque de la Pléiade. NRF » les initiales et visage de celui qui fut longtemps l’incarnation même des « mauvais genres ». Ceux-là dont la publication sur papier bible et sous couverture cuir doré à l’or fin sembla longtemps relever d’un fantasme si improbable qu’il confinait à une manière de délire. Mais tel n’est désormais plus le cas, puisqu’après avoir inscrit à son catalogue Frankenstein, Dracula (cf. Bifrost n° 95), puis 1984 (cf. Bifrost n° 102), la Pléiade étend encore son domaine de l’Imaginaire avec ce volume dévolu à H.P.L.
Certes forte de presque 1500 pages, cette « Pléiade » lovecraftienne n’en est pas pour autant une intégrale, mais plutôt une anthologie de sa prose fictionnelle. L’on n’y retrouve donc ni la poésie ni les textes théoriques, ni non plus la correspondance. Et sont encore absentes de ce volume ce qu’il est coutume d’appeler les « révisions », soient ces textes (co)écrits par l’auteur en tant que ghostwriter. On peut imaginer que pareils choix ne sont pas exempts de contraintes économiques. Rappelons que les (plus ou moins) intégrales lovecraftiennes précédemment proposées par Francis Lacassin (« Bouquins »), puis par David Camus (Mnémos) se quantifient chacune en de nombreux et conséquents volumes. Mais sans doute y a-t-il aussi dans la dimension anthologique de cette « Pléiade » H.P.L. l’expression d’un authentique programme éditorial, celui de concentrer en un seul volume l’essence littéraire de Lovecraft. Car celle-ci ne s’exprime sans doute jamais mieux que dans la trentaine de (plus ou moins longues) nouvelles ici réunies, disposées selon un ordre chronologique et allant de « La Tombe » (1917) à « Ce qui vit dans la nuit » (1935) en passant par « L’Appel de Cthulhu » (1928), « Dans les montagnes du délire » (1931) et autres sommets de l’art lovecraftien…
L’énoncé de quelques-uns des titres de cette « Pléiade » sonnera sans doute étrangement aux oreilles des lovecraftiens et lovecraftiennes de longue date, car ils diffèrent de ceux communément donnés en français. « Les Montagnes hallucinées » sont ainsi devenues « du délire », et en lieu et place de « Celui qui hantait les ténèbres », il est désormais question de « Ce qui vit dans la nuit ». Ces variations d’intitulés révèlent qu’il s’agit ici de nouvelles traductions du canon lovecraftien, celles-ci ayant été confiées à un collectif ayant précédemment traduit pour la « Pléiade » Melville, London, Twain, Fitzgerald ou bien encore Roth. Sans doute y a-t-il là, une fois de plus, la manifestation d’une volonté d’être au plus près de la singularité littéraire de H.P.L., notamment de « sa débauche d’adjectifs, [de] ses intensifieurs omniprésents, [de] ses tics lexicaux », comme Laurent Folliot l’écrit en introduction du volume. S’élabore ainsi un style parfois moqué, mais dans lequel Folliot lit une « incantation poétique [et] une esthétique hautement proclamée de l’innommable ». Ou bien encore une manière d’avant-gardisme littéraire rapprochant H.P.L. de ces « grands innovateurs » que sont Proust et Joyce !
Si cette « Pléiade » n’atteint certes pas à l’exhaustivité des éditions dévolues à H.P.L. par « Bouquins » et Mnémos, elle n’en constitue pas moins un splendide hommage au « reclus de Providence », en l’inscrivant de belle et convaincante manière dans le panthéon des Lettres mondiales…