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Les critiques de Bifrost

Reconquérants

Reconquérants

Johan HELIOT
MNÉMOS
320pp - 18,29 €

Bifrost n° 24

Critique parue en octobre 2001 dans Bifrost n° 24

En quarante avant Jésus-Christ, au moment où la République de Rome échoue à renaître malgré le meurtre de Caïus Julius Caesar, le marchand Nilghy organise l'exode de plusieurs dizaines de républicains vers l'Africa. Mais les colons ne toucheront jamais les rives du continent noir, débarquant en fait sur un grand continent qui se trouve à l'ouest de l'Europe. Les siècles passent, la colonie prend de l'ampleur, les indigènes sont matés, et, en 1551 après la fondation de Libertas, le temps de la reconquête de l'Europe est venu. C'est par les yeux du jeune métis Geron — quasiment enrôlé de force — que sera vécu le grand voyage vers le continent originel et ses secrets ; la découverte d'une société vivant en harmonie avec la mer Méditerranée et ses créatures fabuleuses (naïades, dragons de mer, etc.).
Raconté ainsi, le second roman de Johan Heliot, après La Lune seule le sait, se présente comme une uchronie d'une originalité sans faille, mêlant science-fiction et fantasy. Et c'est bien ce mélange des genres qui sauve l'ouvrage, car, pour le reste, on voguera de vague déception en vague déception. D'abord, à cause du prologue, particulièrement mal fichu, souvent mal écrit, lui-même suivi par une première partie hommage au Salammbô de Flaubert (pages 13 à 71) toute en scènes d'exposition lourdes et redondantes, centrées pour la plupart autour de la chose politique (on notera à nouveau le défaut récurrent de l'auteur, à la fois naïf et professoral dans sa vision politique, défaut qui avait plombé en son temps la série F.A.U.S.T. de Serge Lehman). Au sein de la première partie de Reconquérants, le lecteur devra attendre la page 25 pour que le personnage principal apparaisse. Et, premier constat amer : tout ce qui précède la page 71 pourrait tenir en deux ou trois flash-backs et un prologue bien écrit : une version plus étoffée du relatio du début, par exemple.
Une fois la page 76 passée, le roman commence pour de bon et se révèle réussi par bien des côtés, jouant continuellement sur une esthétique intéressante (hommes-volants appelés Aigles, aérostats, dragons de mer). La deuxième partie (pages 75 à 113) réserve deux ou trois morceaux de bravoure et une sacrée trouvaille aux portes de la Méditerranée — le Verrou du Monde —, dont je laisserai l'entière surprise aux lecteurs. Mais le tout est gâché par des descriptions passives et statiques comme s'il en pleuvait, des coquilles beaucoup trop nombreuses pour un ouvrage de ce prix (à se demander si ça a été relu), des titres de chapitre hors sujet (« la croisière, sa muse ») qui sortent le lecteur du sense of wonder qui aurait dû caractériser ce roman d'aventures. C'est dans les troisième et quatrième parties que les plus gros défauts du livre apparaissent, notamment l'absence de véritables personnages (même Geron — pâle Geronimo ; quant au seul personnage féminin, Ekin, il s'agit d'une sorte de sirène nymphomane sans grand intérêt qui n'apparaît que page 150). Cerise sur le pompon : des maladresses et des erreurs logiques inacceptables ne cessent d'éprouver le lecteur, comme la note de la page 179 qui apostrophe icelui, lui rappelant qu'une veille dure trois heures. Et comme un malheur ne vient jamais seul, à partir du chapitre 31, « De Charybde en Scylla » — quelle clairvoyance ! —, l'écriture et la maîtrise se relâchent pour un final bâclé, visiblement écrit à la va-vite (on reconnaît là les conséquences du hou-la-la-faut-que-je-rende-dans-les-temps, aussi appelé deadline, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire).
Le constat peut paraître brutal. Et il l'est, sans doute à cause des attentes suscitées par La Lune seule le sait, infiniment plus maîtrisé. Et pourtant, avec ce roman écrit trop vite, qui n'a pas eu le temps de reposer, dans lequel il aurait fallu trancher soixante-dix pages au début et développer la fin, Johan Heliot confirme qu'il est l'auteur francophone le plus original du moment, palme qu'il se partage avec David Calvo. Quant à savoir s'il faut acheter ce Reconquérants brut de décoffrage… même le critique baisse le glaive et avoue ne pas savoir quel conseil donner, tant l'ouvrage réserve de magnifiques surprises et tout autant d'écueils… Il ne reste plus qu'à souhaiter une édition poche remaniée, comme ce fut le cas pour La Voie du Cygne de Laurent Kloetzer en « Folio-SF ».

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